Comment prononcer correctement le mot inuit Neqqajaaq qui signifie « vent violent » ? L’actrice Marianne Denicourt, qui enregistre le livre audio De pierre et d’os de Bérangère Cournut (Le Tripode, 19 euros) pour lasociété Lizzie (Editis, 18,10 euros), demande à Catherine Lagarde, responsable éditoriale et directrice du studio Nova Spot, de lui donner la bonne intonation. Ce Neqqajaaq va s’arrêter de souffler au chapitre 32… Installée dans une cabine d’enregistrement, la comédienne doit donner vie à 219 pages. Elle lit d’une voix claire et précise.
Parfois, Mme Lagarde, sa « première oreille », lui demande de chuchoter un peu plus ou de reprendre une phrase. « Cela demande une réelle concentration », assure Marianne Denicourt. D’autant que, pour elle, c’est une première. L’auteure du roman lui a demandé d’incarner « sa » voix après l’avoir entendue lors d’une lecture publique. Pour l’interprète, l’exercice consiste à « raconter une histoire, trouver cet équilibre particulier, pour rester au service du texte ».
Longtemps réservé aux malvoyants, aux personnes âgées ou à ceux qui ont un bras dans le plâtre, le livre audio prend son essor en France dans un secteur, l’édition, qui fait grise mine. Dans la mesure où Amazon, l’un des acteurs importants, refuse de révéler ses chiffres, il n’existe pas de statistiques fiables sur la taille de ce marché de niche. Les analystes l’estiment à moins de 2 % du chiffre d’affaire total de l’édition.
Lors de la dernière Foire internationale du livre de Francfort, en octobre, Valerie Lévy-Soussan, PDG d’Audiolib et présidente de la commission livre audio du Syndicat national de l’édition (SNE), a prévu un doublement de ce secteur d’ici trois ans grâce à un enviable taux de croissance de 20 % à 30 % chaque année.
Si l’on se fie à l’exemple américain, les perspectives semblent prometteuses. Selon l’Audio Publishers Association, ce marché y a atteint, en 2018, 940 millions de dollars (854 millions d’euros), en hausse de 24,5 % par rapport à 2017, grâce à une production florissante de 45 000 nouveaux titres en un an.
Casting
Dans l’Hexagone, les éditeurs se lancent dans l’aventure, même si le livre audio nécessite des coûts plus élevés que l’édition papier. Depuis son lancement voilà dix-huit mois, Lizzie a ainsi, selon sa directrice Julie Cartier, produit 280 ouvrages. Audiolib, qui a fêté ses 10 ans en 2018, en sort plus d’une centaine par an. « Tout est adaptable, les romans bien sûr, mais aussi les guides de développement personnel, de voyages et même les bandes dessinées, comme Astérix », assure Ludivine Payen, assistante éditoriale au sein de cette filiale d’Hachette et d’Albin Michel. Si Actes Sud arrive de façon bien plus modeste dans ce marché, Gallimard poursuit activement son offensive. Tout comme les pionniers Thélème ou les Editions des femmes.
Vous n’êtes pas mort ? Prouvez-le ! C’est, en somme, ce que demandent chaque année les différents régimes français aux retraités installés hors de nos frontières. Rien d’illogique, il s’agit pour eux d’éviter de continuer à verser des pensions à des personnes décédées depuis des années. L’enjeu financier est important : « environ 6 milliards d’euros de pensions sont réglés chaque année à l’étranger, soit grosso modo 2 % des retraites versées par les régimes français », détaille Stéphane Bonnet, directeur de l’Union Retraite, l’organisme interrégimes.
Le hic, c’est que la démarche s’avérait jusqu’ici très fastidieuse. Chaque année, les près de un million et demi de retraités concernés (qu’ils soient ou non de nationalité française) recevaient par la poste un certificat d’existence, à faire tamponner par une autorité locale compétente, puis à renvoyer, là aussi par courrier, en respectant un délai généralement fixé à deux mois.
Une procédure à répéter autant de fois qu’ils avaient de régimes de retraite, de base comme complémentaires. Le moindre couac rimait généralement avec suspension de pension, l’assuré étant alors présumé mort.
Une procédure unique, et dématérialisée
De quoi agacer les retraités de l’étranger qui, depuis des années, exposaient leurs « galères » à leurs élus, sur les forums en ligne, dans la presse ou encore via une pétition. Les uns racontant que les courriers ne leur arrivaient parfois pas, ou tardivement, en raison d’un service postal défaillant dans le pays d’accueil. D’autres expliquant ne pas avoir d’adresse postale (villes sans noms de rue, dans certaines contrées, par exemple) ou rencontrer des difficultés pour se déplacer en raison d’une maladie.
Ils ont finalement eu gain de cause avec le lancement, en novembre, d’une procédure unifiée et dématérialisée. En pratique, chacun recevra désormais une fois l’an un certificat de vie valable pour tous les régimes, par mail ou via son « compte retraite » en ligne. Comme avant, il devra se rendre dans les bureaux d’une autorité locale compétente en la matière (ambassades, consulats, mairies, police, etc. : les services habilités varient selon les pays d’accueil, la liste pour chacun est consultable sur le site de l’Union retraite ou du régime général).
Il devra ensuite renvoyer le document scanné ou photographié via la messagerie de son compte retraite. L’ancienne procédure postale demeure possible, le certificat peut toujours être reçu et renvoyé par courrier.
Le formulaire est pour l’heure disponible en anglais, portugais, espagnol et italien. D’autres langues devraient être ajoutées au printemps 2020, prioritairement l’arabe, peut-être aussi l’allemand, le polonais, le turc et le néerlandais, nous a indiqué l’Union Retraite, précisant avoir procédé fin octobre à une première fournée d’envois de certificats uniques, à 180 000 retraités.
« Le service étant progressivement mis en place au dernier trimestre 2019, il est possible que certains assurés reçoivent plusieurs demandes de leurs régimes pour justifier de leur existence en 2019 », prévient toutefois l’organisme dans un communiqué.
« C’est une avancée majeure », se réjouit Anne Genetet, députée des Français de l’étranger et auteure en 2018 d’un rapport sur la mobilité internationale des Français, dans lequel elle pointait du doigt les difficultés que posait la démarche du certificat de vie. Certes, la procédure nécessitera toujours de se déplacer pour faire tamponner son certificat par une autorité habilitée du pays d’accueil, mais cette rencontre « en face à face d’un tiers identifié de confiance par les régimes français reste indispensable pour éviter les fraudes », justifie M. Bonnet.
Bientôt la fin du certificat de vie pour certains pays ?
L’autre bonne nouvelle, c’est que pour certains pays d’expatriation européens, le renvoi annuel du certificat d’existence ne sera bientôt plus du tout requis grâce à des échanges automatisés d’information sur les décès entre la Caisse nationale d’assurance-vieillesse (CNAV), qui gère le régime général français, et certains régimes étrangers. Si ces organismes se tiennent réciproquement au courant des décès survenus dans leur pays, les retraités n’ont en effet plus besoin de prouver qu’ils sont en vie…
Ces échanges d’informations sont d’ores et déjà effectifs avec l’Allemagne, la Belgique et le Luxembourg, ce qui signifie que pour ces pays, la CNAV ne demande plus à ses retraités de produire de certificats d’existence. Des conventions ouvrant la voie à de tels échanges ont également été signées avec l’Italie, la Suisse, les Pays-Bas et l’Espagne mais ne sont pas encore effectives. Ils devraient l’être en 2020 ou début 2021, selon le régime.
Mieux encore : la CNAV peut désormais partager ces données avec les autres régimes français. Pour les retraités installés dans les pays concernés par ces conventions, plus aucun certificat de vie ne sera donc a priori réclamé à terme par aucun régime.
RécitAux Etats-Unis ou en France, les grands groupes ont pris conscience des nouvelles attentes des consommateurs. Et investissent dans de jeunes pousses spécialisées dans le bio, le végan ou le sans-gluten.
En 2016, Danone croque une part de Michel et Augustin. Une petite marque qui a réussi à se glisser dans les rayons des supermarchés avec ses cookies, ses yaourts à boire, ses biscuits apéritifs ou sa mousse au chocolat. Une entrée discrète, sur la pointe des pieds, dans le capital de la start-up des « trublions du goût », comme les deux fondateurs, Augustin Paluel-Marmont et Michel de Rovira, aiment à se définir.
Mais un changement de cap pour le géant de l’agroalimentaire français, dirigé par Emmanuel Faber, plus habitué à orchestrer de riches fusions. A cette occasion, il dévoile un nouveau modèle avec la création de Danone Manifesto Ventures, un outil de prise de participation dans des start-up du secteur. Trois ans plus tard, en octobre 2019, le leader mondial du yaourt annonce son quinzième investissement : une entrée au capital de la société californienne Forager Project, spécialisée dans les produits bio et végétaux.
Danone n’est en rien un exemple isolé. PepsiCo, Mondelez, General Mills, Coca-Cola, Tyson Foods ou Kraft ont annoncé, tour à tour, la création de véhicules d’investissement ou d’incubateurs. Une volonté des grands groupes de s’abreuver à la source jaillissante des « foodtech », ces petites structures qui secouent le marché agroalimentaire. « Nous avons vu arriver un foisonnement de jeunes entreprises. Cette effervescence entrepreneuriale vient d’un changement profond des consommateurs depuis vingt ans », affirme Laurent Marcel, directeur général de Danone Manifesto Ventures.
Partout sur la planète les populations deviennent plus sensibles au contenu de leur assiette, à l’impact de leur alimentation sur leur santé, voire sur l’environnement. Et prennent leurs distances avec les grandes marques. De nouvelles attentes qui s’illustrent par le succès en France de l’application Yuka, devenue une boussole pour les clients en quête de repères nutritionnels dans les magasins.
« Une révolution de l’alimentation », selon M. Marcel, qui favorise l’émergence de projets entrepreneuriaux désireux de capter ces marchés où les notions de naturalité, de proximité, de qualité nutritionnelle, de bien-être animal dominent. Ou qui sont prêts à innover pour inventer de nouveaux modes de distribution.
« Soit on voit ces start-up comme des concurrents, soit comme un moyen d’étoffer son écosystème »
« La question s’est posée de savoir comment se positionner. Soit on voit ces start-up comme des concurrents, soit comme un moyen d’étoffer son écosystème », analyse M. Marcel. Ce dernier explique ainsi le choix de la création du Danone Manifesto Ventures avec une dotation de 200 millions d’euros et un objectif de 20 à 25 prises de participation d’ici à 2020. La même réflexion a conduit Kellogg’s à créer Eighteen94 Capital, ou General Mills, 301 Inc.
Dorian Twiggs, 36 ans, venait tout juste de déménager de Detroit à Charlotte, en Caroline du Nord. Son nouvel employeur, le cabinet de conseil Accenture, l’avait placée dans une banque, afin de vérifier si tous les documents nécessaires pour décrocher des prêts immobiliers étaient réunis. Cela faisait onze ans qu’elle travaillait dans la finance et elle connaissait bien son métier. Mais cinq mois après son arrivée, son chef l’a prévenue : son activité allait être automatisée. Accenture réduisait ses effectifs. « J’étais choquée », avoue la jeune femme.
Comme beaucoup d’autres entreprises conseils, Accenture est aux premières loges de la révolution technologique. L’intelligence artificielle (IA), les secrets du machine learning (« l’apprentissage automatique »), l’Internet of things (« Internet des objets »), ses ingénieurs connaissent. Car ce sont eux qui installent ces outils chez leurs clients. Ils voient de suite les conséquences : un certain nombre d’emplois vont disparaître. Un rapport de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) publié en mars 2018, a étudié l’impact des nouvelles technologies dans trente-deux pays. Conclusion : 48 % des postes seront partiellement automatisés.
Heureusement pour Mme Twiggs, Accenture n’avait aucune intention de la laisser tomber. Quelques années plus tôt, son défunt dirigeant Pierre Nanterme (1959-2019) avait senti le vent tourner et décidé que les économies réalisées grâce à l’IA seraient réinvesties dans la formation des collaborateurs. « C’est une approche volontaire. Nous parions sur nos salariés, dit Ellyn Shook, la responsable des ressources humaines. Nous savons qu’ils sont ambitieux et qu’ils ont une grande envie d’apprendre. » Accenture dépense près d’1 milliard de dollars (904 millions d’euros) par an dans ces différents programmes. Depuis trois ans, les 480 000 employés du groupe ont suivi 70 millions d’heures de cours.
Maintenant chef d’équipe
Tout commence par un bilan. L’entreprise qui se veut « transparente » identifie les postes en danger. Des conseillers d’orientation discutent avec les intéressés de l’évolution de leurs métiers. Ils regardent ensemble quels postes voisins sont en grande demande. Ils étudient les envies des personnels et les formations nécessaires pour devenir opérationnels. Ellyn Shook ne lésine pas sur les moyens : camps d’entraînement intensifs, cours en ligne fournis par les prestataires SAP, Workday, Salesforce… stages pratiques avec des professionnels. « Coupler un étudiant avec quelqu’un d’expérimenté est essentiel », explique-t-elle. Par exemple, « après avoir suivi une formation sur la blockchain, on intègre notre employé dans une équipe qui l’emmène chez les clients ».
Chronique « Carnet de bureau ». La Cour de cassation a confirmé le 23 octobre le licenciement pour faute grave d’un cadre d’Airbus qui, lors d’un programme de team building, voulait forcer un salarié à marcher pieds nus sur du verre brisé. Le salarié, après être sorti en larmes, a « été obligé de donner les raisons de son refus », précise l’arrêt. Il a décidé d’exercer son droit d’alerte, qui a abouti au licenciement du manageur.
Un rescapé du Bataclan, salarié de Publicis, est en arrêt maladie et en attente d’une décision le 21 janvier 2020. Il a saisi les prud’hommes, après un nouveau choc : sur son lieu de travail, il s’est retrouvé « nez à nez avec un terroriste de pacotille », dans une simulation d’attentat organisée par son employeur.
Marche forcée sur du verre pilé pour booster la motivation, kalachnikov dans le couloir pour tester la sécurité… la violence au travail est « un risque systémique », révèle l’Institut national d’études démographiques (INED, « Violences et rapports de genre », à paraître en mars 2020). Derrière les initiatives coupables des auteurs, l’organisation a sa part de responsabilité.
L’enquête de l’INED, menée auprès de 17 333 personnes (45,6 % d’hommes, 54,4 % de femmes) de 41,3 ans en moyenne, a recensé les violences sur le lieu de travail, leurs fréquences, leur gravité, les circonstances et les caractéristiques des victimes et des agresseurs(euses). Les salariés des affaires Airbus et Publicis pourront s’y reconnaître.
Insultes, pressions, violences
L’enjeu est d’importance. Au cours des douze mois précédant l’enquête, 20,1 % des femmes et 15,5 % des hommes ont été victimes d’au moins un fait de violence. Grosso modo, un salarié sur cinq aurait subi au moins une insulte ou des pressions psychologiques, une atteinte à son activité de travail, une violence physique ou sexuelle.
Les insultes et les pressions psychologiques (humiliations, dénigrements, menaces) sont les violences les plus fréquemment constatées, suivies par les atteintes à l’activité professionnelle : sabotage, mise à l’écart, injonction de tâches inutiles, d’horaires injustifiés, ou changement inapproprié de lieu de travail. Près de 80 % des victimes témoignent de violences multiples, confirmant le risque systémique.
« Pour les insultes et pressions psychologiques (…), les auteurs appartiennent avant tout à la hiérarchie », indique l’INED. Fournisseurs, public et clients sont davantage impliqués dans les violences physiques. Mais les subordonnés sont rarement mis en cause, « ce qui inscrit bien la violence au travail comme une forme d’expression et de maintien des rapports de force », analysent les deux chercheuses, la sociologue Sylvie Cromer et la psychologue Adeline Raymond. La surreprésentation parmi les victimes des plus jeunes (20-29 ans), des contrats précaires et des fonctionnaires établit le lien entre violence et subordination.
Au 1er janvier 2020, toutes les entreprises d’au moins onze salariés sont tenues d’avoir organisé leur comité social et économique (CSE). La nouvelle instance représentative des salariés fusionne les délégués du personnel, le comité d’entreprise et le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT).
Les représentants des ressources humaines, réunis mardi 19 novembre à la Maison de l’Amérique latine pour les Rencontres RH (le rendez-vous « management » du Monde organisé en partenariat avec Leboncoin), ont majoritairement mis en place leur CSE. De leur échange d’expériences émerge une diversification des modalités de dialogue social, liée à l’anticipation du changement, la taille de l’entreprise, la répartition des dossiers et la prise en charge (ou non) de la professionnalisation des représentants du personnel.
Une première dichotomie est apparue dès l’ouverture des débats entre les très grandes entreprises et les autres pour organiser les élections. « Au premier tour, on n’arrive pas à avoir assez de candidats, on se retrouve dans certains collèges en manque de représentants », témoigne Laurence Breton Kueny, la DRH d’Afnor, qui vient de tenir son premier CSE le 15 novembre.
Séances de négociations rallongées
Au Théâtre Mogador, face au manque de permanents, « on a négocié une réduction du nombre de sièges et reproduit le mode de négociation précédent », explique Davone Fonteneau, la DRH. Dans les structures atomisées de l’intérim, c’est la caricature. A la tête de 27 000 équivalents temps plein (ETP) dans ses sociétés clientes, mais de 1 300 salariés permanents répartis dans 270 agences, Sébastien Guiragossian, DRH d’Adéquat, a bien organisé quelques élections, mais « le taux de participation a été de 3 % à 4 %, avec beaucoup de postes vacants ». Faute de candidat, l’entreprise est tenue d’établir un procès-verbal de carence. Ces trois entreprises ne se sont pas vraiment éloignées de l’existant.
AXA, SFR Business ou HSBC n’ont pas eu ce problème. « Dans les réunions, on fait salle comble à chaque fois. On n’a pas de problème de vocations », indique Didier Jauliac, DRH de SFR Business, qui a mis en place son CSE depuis juin. En revanche, les séances de négociations sont rallongées : « On a onze CSE par an, d’une journée, voire plus, à chaque fois. » Même conséquence pour l’assureur AXA.
Sodexo détenait le record du tour de table des DRH : « On a prévu des réunions de trois jours tous les mois, car nos sociétés, qui ont leur entité juridique propre et leur propre histoire, vont être réunies dans un CSE unique, et il sera le seul à pouvoir régler les très nombreux problèmes d’inaptitudes », explique la DRH, Emmanuelle Carrié. Ils étaient jusqu’alors réglés par les délégués du personnel.
Sur les objectifs du législateur, rappelés par l’économiste du travail Thomas Breda, « la simplification du mille-feuille des instances représentatives » a toutefois été saluée par la majorité des DRH présents, même si le gain en efficacité varie, selon les entreprises et leur secteur d’activité. C’est dans « la marge donnée aux entreprises pour négocier au plus près du terrain [le deuxième objectif] » que les modalités de négociation se diversifient.
Les entreprises ont eu le choix de réorganiser le dialogue social au niveau national et local, pour chaque établissement, et en fonction de la nature des négociations. « On a une dizaine d’établissements avec des représentants de proximité. Localement, ils sont nos capteurs pour les droits d’alerte », illustre Didier Jauliac. Dans les entreprises d’au moins 1 000 salariés, le CSE peut être composé de plusieurs commissions de proximité comme la commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT) ou la commission de l’égalité professionnelle, par exemple. « Certaines entreprises ont reproduit l’existant, d’autres pour être efficaces ont fait a minima et les dernières s’inscrivant dans une logique de rupture ont tout remis à plat », explique Thomas Breda.
Un an pour se préparer
AXA comme la Réunion des musées nationaux (RMN) affirment être repartis d’une page blanche. Ils ont pris au moins un an pour se préparer, ce qui leur a permis d’affiner l’attribution des dossiers. « Au début, on s’est un peu cherché sur les prérogatives de chacun, on a été très itératif, raconte Sibylle Quéré-Becker, directrice des relations sociales d’AXA. Puis on a formé les représentants pour fonctionner en deux parties : les sujets métiers attribués au CSE et les questions d’implantation et ceux anciennement à la charge des délégués du personnel aux commissions de proximité. »
A la Réunion des musées nationaux-Grand Palais, « on a mis en place des représentants de proximité sur les 40 implantations pour avoir une représentation transversale. Le CSE est généraliste et les commissions plus techniques. Pour articuler CSE et CSSCT, l’agenda des réunions doit être bien cadencé », remarque la DRH Noëlle de La Loge. Une mauvaise articulation peut se faire aux dépens des prérogatives des CSSCT, remarque Thomas Breda.
Enfin, la mobilisation des manageurs locaux sort renforcée de ces réorganisations. L’objectif d’HSBC est de créer un circuit d’information le plus fluide possible. Le CSE unique compte 32 membres et 53 représentants de proximité font des points d’étape et se réunissent en commissions bisannuelles. L’idée étant que « tous les problèmes locaux soient réglés le plus en amont possible par les manageurs eux-mêmes », explique Philippe Saquet, le directeur des relations sociales d’HSBC.
Leur premier CSE devrait être mis en place le 5 décembre. Rémy Cointreau, qui a tenu sa première séance en avril, a même fait le pari « d’éliminer progressivement toutes les questions des ex-DP et qu’elles soient directement réglées par les manageurs de proximité. Il y a un effort de pédagogie à faire », précise le DRH, Marc-Henri Bernard. « Il y a eu très peu d’accord CSE innovants, conclut Thomas Breda. On assiste à un façonnement des représentants par les RH. Tout est au bon vouloir de l’employeur. » Le risque inhérent est que ce soit aux dépens de la représentation des salariés.
Chronique. En août, la Business Roundtable, qui regroupe les PDG des plus grandes sociétés américaines, a mis à jour sa déclaration sur l’objet des sociétés. Il n’y a pas que les actionnaires qui comptent, disent-ils désormais ; leurs entreprises doivent s’engager envers toutes les parties prenantes – clients, employés, fournisseurs, communautés et environnement. Les actionnaires se retrouvent en dernière position sur cette nouvelle liste.
Cette annonce a suscité trois types de réactions. Certains commentateurs ont applaudi les chefs d’entreprise américains d’avoir enfin compris le message, mais ont critiqué l’absence de proposition concrète sur la manière dont les parties prenantes peuvent demander des comptes. D’autres, plus sceptiques, ont estimé que le texte différait peu des déclarations antérieures et que les dirigeants souhaitaient simplement rééquilibrer les intérêts des différentes parties prenantes autres que les actionnaires. Pour les plus critiques, enfin, la déclaration vise à réaffirmer le pouvoir discrétionnaire des PDG et conseils d’administration pour gérer comme ils l’entendent.
Pourquoi alors la Business Roundtable a-t-elle estimé nécessaire de dire quelque chose maintenant ? Tout d’abord, les actionnaires activistes compliquent la vie des dirigeants des plus grandes entreprises américaines. La déclaration est donc effectivement un plaidoyer en faveur d’une plus grande autonomie par rapport aux actionnaires. Les chefs d’entreprise américains sont en train de bâtir une coalition contre les investisseurs activistes, espérant que leurs employés, leurs clients et les militants des causes éthiques ou environnementales les soutiennent, en échange de la promesse de mieux les traiter.
Ensuite, les hommes et femmes politiques, tout comme l’opinion publique, soutiennent de moins en moins l’Amérique des entreprises. Les sénateurs Bernie Sanders et Elizabeth Warren, deux des principaux candidats à la nomination démocrate pour l’élection présidentielle de 2020, ont appelé de leurs vœux des changements majeurs dans la gestion des grandes entreprises. Mme Warren, par exemple, souhaite que les employés soient représentés dans les conseils d’administration (comme en Allemagne) et se déclare favorable à la dissolution des plus grandes entreprises américaines. De plus, bien que Donald Trump n’ait pas encore dirigé son populisme anti-élite contre les entreprises, il est imprévisible – et les représentants les plus puissants de l’élite privilégiée font partie du club des dirigeants de grandes compagnies.
Des conditions d’accueil « indignes », des « dysfonctionnements institutionnels graves, susceptibles de constituer un traitement inhumain et dégradant »… Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) a publié, mardi 26 novembre, au Journal officiel, des recommandations en urgence relatives à l’hôpital psychiatrique du Rouvray, à Sotteville-lès-Rouen, à côté de Rouen.
« Nous avons trouvé des dysfonctionnements extrêmement graves dans chacun des critères étudiés », a déclaré au Monde Adeline Hazan, la contrôleuse générale, qui appelle à la mise en place rapide d’un projet médical d’établissement. « Il s’agit moins d’un problème de moyens que d’organisation du travail et de culture d’établissement », assure-t-elle.
Le constat est particulièrement sévère. Dans cet établissement où des soignants avaient mené en 2018 une grève de la faim pour dénoncer le manque d’effectifs et les conditions d’accueil des patients, le CGLPL alerte aussi bien sur les atteintes à la liberté d’aller et venir que sur les conditions d’hébergement, les pratiques d’isolement, l’information des patients en soins sans consentement et que sur la prise en charge de certains enfants hospitalisés. Des constats qui « s’accompagnent de manquements à la déontologie professionnelle et [qui] constituent des violations graves des droits fondamentaux des patients ».
Les unités sont en permanence suroccupées (101,3 % en moyenne en 2018), des lits de camp étant ajoutés dans les chambres simples ou doubles. « Il n’est pas rare qu’un lit soit installé dans un bureau ou dans le salon de visite des familles, ou qu’un patient soit maintenu en chambre d’isolement », note le CGLPL, pour qui « les conditions de vie sont particulièrement dégradées par la promiscuité, dans la chambre ou dans l’unité ».
« Dévoiement de l’isolement »
D’importantes atteintes à la liberté d’aller et venir – « injustifiables pour les patients en soins libres » – sont par ailleurs relevées. Sur vingt-trois unités, vingt et une sont complètement fermées. Ces restrictions limitent de fait les accès aux activités thérapeutiques ou occupationnelles conduites à l’extérieur des unités. « Dans ces conditions, l’ennui et le désœuvrement règnent, les conditions de vie quotidienne sont difficiles », relève le CGLPL. De janvier à octobre, soixante-dix-huit mesures de soins libres ont été transformées au cours du séjour en soins sans consentement. Ce nombre élevé est jugé « symptomatique de préoccupations et précautions sécuritaires ».
Pour le Père Noël, le mouvement social, qui sévit en Finlande, ne pouvait pas tomber plus mal. Habituellement, au mois de décembre, le vieux bonhomme, domicilié à Rovaniemi, dans le nord du pays, reçoit plus de 30 000 missives par jour, en provenance du monde entier. Mais voilà que, depuis le 11 novembre, les employés de la Poste finlandaise se sont mis en grève, bloquant lettres et paquets, à cette période précise où le trafic postal atteint des records.
Pis, la situation pourrait encore s’aggraver, puisque, depuis lundi 25 novembre, les syndicats des travailleurs du transport et de l’aviation ont, à leur tour, cessé le travail, par solidarité, tandis que plusieurs préavis de grève, déposés pour la mi-décembre, font craindre une généralisation de la mobilisation, qui pourrait paralyser le pays à quelques jours de Noël.
A l’origine du contentieux dans le secteur postal : le transfert, cet été, de 700 employés, chargés du tri et de la livraison des colis, vers un nouveau régime, géré par une convention collective beaucoup moins favorable que celle dont ils bénéficiaient jusqu’à présent. Ainsi, à partir de 2022, leurs salaires devraient baisser en moyenne de 30 %, contre un bonus, indexé sur leur productivité et la satisfaction des clients.
Le syndicat des travailleurs postaux et logistique (PAU) réclame l’annulation de ce transfert, ainsi qu’une hausse des salaires pour les 10 000 employés de Postii, une entreprise publique, gérée par l’Etat finlandais. Ce week-end, une nouvelle tentative de rapprochement entre les partenaires sociaux, engagée par la médiatrice, Vuokko Piekkala, a de nouveau échoué.
Plusieurs années de régime sec
En réaction, les salariés du secteur des transports et de l’aviation se sont, à leur tour, mis en grève, pour vingt-quatre heures. Lundi matin, seulement 25 % des bus fonctionnaient à Helsinki. Dans les ports du pays, les ferrys battant pavillon finlandais sont restés à quai, tandis que la compagnie aérienne Finnair annulait près de 300 vols.
De leur côté, le syndicat de l’industrie et celui des employés menacent de débrayer le 9 décembre, pour trois jours, s’ils n’obtenaient pas une hausse de salaires de plus de 2 % et la suspension de l’augmentation du temps de travail non rémunéré, décidée en 2016. Depuis mi-novembre, ils font déjà la grève des heures supplémentaires.
Ce mouvement social intervient après plusieurs années de régime sec, pour les salariés du privé, qui ont accepté de se serrer la ceinture, afin de relancer la compétitivité en berne du pays. La mobilisation pourrait être un test pour le premier ministre social-démocrate Antti Rinne, en poste depuis juin, alors même que la renégociation des accords collectifs va débuter en janvier dans le secteur public.