En Suisse, la moitié du pays est nommée à faire grève, vendredi 14 juin. Sous le mot d’ordre « plus de temps, plus d’argent et du respect », plusieurs associations et des syndicats (UNIA, Union syndicale suisse…) sollicitent aux femmes de ne pas aller travailler ou de ne pas contribuer aux tâches ménagères.
Par cette appel, les organisateurs désirent mettre en lumière les différences salariales, mais aussi relever sur la reconnaissance du travail domestique, révoquer les violences contre les femmes, ou bien encore réclamer qu’elles soient mieux représentées dans les hautes sphères des entreprises ou de la politique.
Car la Suisse a mis du temps avant de s’assaillir aux écarts entre les hommes et les femmes, et le retard est encore important. Explications.
Un appel à la grève du travail, du foyer, de la consommation…
Ce projet de grève est né sous l’impulsion, particulièrement, des syndicats, après qu’ils ne sont pas parvenus à introduire le principe de sanctions lors de la révision de la loi sur l’égalité votée l’an passé. Ce texte, certainement choisi en décembre 2018, prévoit que les entreprises de plus de 100 employés contrôlent les salaires pour faire face contre les inégalités. Elle ne s’appliquera donc qu’à 0,9 % des sociétés et 46 % des salariés. Syndicats et associations féministes déplorent par ailleurs qu’elle n’impose aucune sanction en cas de non-respect de l’égalité salariale.
Des défilés sont prévus dans toute la Suisse vendredi et les femmes sont sollicitées à abandonner les tâches ménagères. De nombreuses animations sont prévues à Berne, Lausanne, Zurich, ou encore Genève : pique-niques géants, bals, attribution de badges, concerts…
Et, comme le mentionne le quotidien suisse Le Temps, quelques entreprises et collectivités locales ont déterminé de jouer le jeu en faisant « acte de volontarisme en payant un jour d’absence à leurs salariées – comme la ville de Genève ».
« Il ne s’agit pas uniquement d’une grève du travail rétribué, a expliqué au Parisien Anne Fritz, coordinatrice de la mobilisation à l’Union syndicale suisse, en invoquant un « ras-le-bol général » : « Il y aura aussi une grève du ménage, du prendre soin, de la consommation… » Et pour les femmes qui iront travailler, elles sont appelées à quitter leur poste à 15 h 23, soit l’heure à laquelle « elles cessent mathématiquement d’être acquittées par rapport à leurs collègues masculins », souligne Le Temps.
Le 14 juin, une date symbolique en Suisse
Si les groupes féministes et les syndicats ont choisi la date du 14 juin pour cette journée d’appel, ce n’est pas un hasard. Il y a vingt-huit ans, le 14 juin 1991, 500 000 femmes étaient descendues dans la rue en Suisse – dans un pays d’un peu moins de 7 millions d’habitants à l’époque –, pour solliciter, déjà, la fin des inégalités, en improvisant de grands pique-niques ou en suspendant leurs balais aux balcons.
Consultée par le quotidien La Tribune de Genève, la socialiste Ruth Dreifuss, première femme à avoir parvenu à la présidence de la Confédération helvétique en 1999, se souvient de ce 14 juin 1991, le jour, dit-elle, où les femmes ont inventé une « nouvelle forme d’expression » :
« Tout avait convergé vers un message unique : nous voulons sortir de l’ombre et voir notre travail enfin reconnu. »
Les rebelles, toutes vêtues en fuchsia, désiraient alors célébrer les dix ans de l’inscription dans la Constitution fédérale du principe d’égalité entre les hommes et les femmes intervenue le 14 juin 1981. La loi n’était cependant entrée en vigueur qu’en 1996.
Car la Suisse a mis du temps avant de résister contre les différences de genre. Comme le rappelle Le Temps, « les hommes ont dit oui au vote et à l’éligibilité des femmes en 1971 seulement (et encore, le non l’a emporté dans huit cantons) ». Soit cinquante-trois ans après l’Allemagne et le Royaume-Uni et vingt-sept ans après la France.
Lors d’une manifestation éclairant la grève des femmes, à Lausanne (Suisse), le 14 mai. FABRICE COFFRINI / AFP
Une parité réelle encore loin d’être acquise
Trente ans après que l’égalité entre les hommes et les femmes a été inscrit dans la Constitution, les femmes suisses touchent en moyenne environ 20 % de moins que les hommes (contre 15,2 % en France). Et à conditions égales, surtout formation et ancienneté, l’écart salarial est encore de près de 8 %, selon le gouvernement.
Dans leurs réclamations, les associations féministes qui nomment à débrayer vendredi sollicitent ainsi : « un salaire égal pour un travail égal » ; « du temps pour nous former, et des perspectives professionnelles » ou encore « une meilleure conciliation entre travail et vie privée ». Et si des avancées ont été obtenues – comme la dépénalisation de l’avortement en 2002 et un congé maternité payé de quatorze semaines en 2005 –, le congé paternité n’existe toujours pas, et le nombre réduit de places en crèche s’avère être un handicap majeur à la participation des femmes à la vie active.
Du côté de la politique, ce n’est pas forcément mieux. « La participation des femmes plafonne à 28,9 % en 2019 (elle était de 14,6 % en 1991). Dans le secteur économique, leur part parmi les dirigeants abouti à peine 36 % (29 % en 1996) », énonce Le Temps.
Plusieurs voix se sont d’ailleurs soulevées ces derniers jours pour attester contre l’appel à la grève déclenché par les associations et les syndicats. « Cette grève est a priori illicite », a révoqué à l’Agence France-Presse l’un des représentants de l’Union patronale, Marco Taddei, arguant que les revendications « ne visent pas uniquement les conditions de travail » et que la Constitution « stipule que le recours à la grève ne doit survenir qu’en dernier ressort ». « Ce qui est illicite, c’est la discrimination salariale, c’est le harcèlement sexuel au travail », répond de son côté Mme Fritz.