Etudiants étrangers : « “Bienvenue en France” », un cliché au nom de contre-vérité, ne doit pas être valorisé »
L’élévation des frais d’inscription pour les étudiants étrangers hors Communauté européenne piétine nos valeurs et intimidation la francophonie, déclare l’académicienne Barbara Cassin.
En France, on se soigne et on enseigne gratuitement (ou presque) et très bien (ou presque), de toute façon plutôt mieux qu’ailleurs. Voilà de quoi les Gaulois sont content et fiers, qu’ils aient un gilet jaune, un col blanc, ou un stylo rouge. Notre similitude, nos valeurs sont là, partagées, concrètes.
Je veux ici, très solennellement résister. Je veux faire entendre notre voix à nous, responsables et praticiens de l’enseignement, de la recherche, de l’éducation, de la culture. Pour dire que « Bienvenue en France », une mesure au nom de contre-vérité, une infox qui ose s’exposer comme un plan gouvernemental d’attractivité des étudiants internationaux, ne doit pas être mis en œuvre. Ni eu égard à ce que nous sommes, ni eu égard à la sacro-sainte économie.
La clé de ce dispositif, que l’on veut obliger les présidents d’université à apposer, comporte à faire payer très cher – 16 fois plus cette année qu’en 2018 – les droits d’inscription de certains étudiants. Pour ceux qui arrivent de pays hors Communauté européenne, ces droits augmentent de 170 à 2 770 euros pour la licence, et de 243 à 3 770 euros pour le master.
Des fonctionnaires aux ordres
Conséquence, pour ne converser que francophonie : sur le même banc, on découvrira un Belge, un Suisse, un Canadien (il y a des accords qui en font des « Européens »), soit des « riches » qui acquitteront comme nos enfants. Et on découvrira – ou plutôt on ne trouvera plus ! – un Sénégalais, un Algérien, un Haïtien, qui nécessiteraient mais ne pourront pas payer les droits qui leur sont sollicités. Le fils brillant d’un de mes collègues de Dakar a eu bien tort de choisir la France. Il a déjà perdu un an (refus de visa à cause de l’engorgement du consulat), et va égarer actuellement une autre année de cursus avant de choisir le Canada ou la Chine. Sélectionner par l’argent a de temps à autre été une bonne idée. Sauf pour le paiement de l’impôt.
Les exclus sont visés : francophones d’Afrique, du Maghreb, intellectuellement formés mais sans fortune. Avec un discours effrayant qu’on ne peut pas ne pas lire en filigrane : pourquoi nos impôts à nous financeraient-ils les études de Noirs et d’Arabes ?
Outre les valeurs ainsi broyées, les présidents de nos universités soi-disant autonomes appelés comme des fonctionnaires aux ordres et demain, si cela poursuit, les étudiants dans la rue avec leurs professeurs, dont je serai, l’idée même de « Bienvenue en France » va contre toute politique sagace et économiquement efficient à moyen comme à long terme.
Dans cet affrontement, il y a un équilibre emblématique des ordonnances de 2017 sur la réécriture du code du travail : le plafonnement des révisions prud’homales. Les écrits envisagent désormais une grille de dommages-intérêts à allouer aux salariés victimes d’une résiliation infondée – avec des montants minimaux et maximaux en fonction de l’ancienneté dans la société
Existant dans le programme de campagne d’Emmanuel Macron, cette modération était considérée par le patronat car elle rend plus prévisible les décisions prud’homales. Mais la gauche et plusieurs centrales syndicales – dont la CGT – la désapprouvent, au motif qu’elle ne permet pas, à leurs yeux, une juste rétractation du préjudice subi par le laborieux congédié.
Paiement d’une « indemnité adéquate »
Bien qu’il soit entré en service, le dispositif poursuit d’être contesté, sur le terrain judiciaire. Ainsi, lors de plusieurs assistances, des avocats de salariés ont fait valoir que l’échelle était contraire à deux textes : la convention n° 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT) et la Charte sociale européenne. Celles-ci prévoient qu’une juridiction doit pouvoir ordonner le versement d’une « indemnité adéquate » ou toute autre forme de rétablissement « appropriée » en cas de licenciement infondé.
Depuis la mi-décembre 2018, six conseils de prud’hommes ont apprécié que cet argumentaire fût pertinent et qu’il fallait, de ce fait, permettre des dommages-intérêts supérieurs à ceux fixés dans les ordonnances Macron. Dans quelques cas, les juges se sont formulés dans ce sens, sans même y être conviés par le conseil du salarié, durant les débats au tribunal.
Jusqu’à maintenant, les prud’hommes de Paris étaient demeurés à l’écart de ce déplacement de rébellion. Mais mercredi 13 mars, les esprits ont débuté à s’échauffer, Après la notification, très récente, d’une affaire rendu, fin novembre 2018, par cette juridiction. Le terme est, de prime abord, surprenante : elle alloue à une salariée des dommages-intérêts dont le montant correspond à la grille adoptée en 2017 mais elle cite pareillement la Charte sociale européenne et la Convention n°158 de l’OIT.
Pourquoi faire référence à ces deux textes sans en déduire, comme dans les six autres conseils de prud’hommes, que le barème Macron doit être écarté ? Selon nos informations, il s’agit d’une initiative prise par la juge prud’homale CGT, qui présidait l’audience ce jour-là. Lors du délibéré, auquel elle a collaboré avec trois collègues (une pour le collège salarié, deux pour la partie patronale), un accord avait été aperçu sur le sens général de la décision et sur le niveau de l’indemnisation.
Quand elle a consigné, seule, le jugement, la présidente CGT a fait le choix de citer la Charte sociale européenne et la convention de l’OIT. Or, « les conseillers employeurs, présents lors de l’audience, disent que cela n’avait pas été abordé en délibéré », rapporte Jacques-Frédéric Sauvage, vice-président (Medef) des prud’hommes de Paris. L’affaire éveille un émoi important, du côté des juges patronaux : ils y voient la manifestation d’une « malhonnêteté intellectuelle », qui pourrait justifier des sanctions.
« Rappel général des bonnes pratiques »
Comment développer la démarche de la conseillère CGT ? Elle n’a pas souhaité s’exprimer. Il semble qu’elle ait voulu évoquer les deux conventions internationales, de manière à convoquer que le barème Macron peut être éloigné. Une geste militant, en somme, mais dont la pertinence juridique s’avère éventuelle.
Pour l’heure, les juges employeurs se sont bornés à affirmer, sans escompter la moindre procédure. « Nous attendons de savoir quelles mesures seront envisagées par les responsables du collège salarié, confie M. Sauvage. Pour moi, il y a une question de confiance mutuelle qui se pose. Il n’est plus possible de se fier à elle. »
De son côté, le président (CFDT) des prud’hommes de Paris, Etienne Colas, favorise temporiser : « Je ne peux pas me prononcer sur les faits, n’ayant pas une connaissance précise de ce qui s’est passé. Mais à cette étape, ils me semblent tenir du non-incident et ne me semblent pas graves. » Il a l’intention d’adresser à l’ensemble de ses pairs un « rappel général des bonnes pratiques, notamment en matière de déontologie et de loyauté ». « Ce que dénonce la partie patronale, aujourd’hui, s’est déjà produit, avec des collègues du collège employeur qui s’écartaient un peu de ce qui avait été avoué au moment du délibéré, relate-t-il. Il faut donc que chacun balaye devant sa porte. »