l’inquiétude des syndicats face à l’âge de départ de la retraite
Les conflits du gouvernement face à l’âge de départ à la retraite font présager les syndicats après la consultation.
L’âge minimum de la retraite demeurera-t-il fixé à 62 ans ? Après cinq jours de discutes, d’éclaircissements alambiquées et de mises au point contradictoires, la question n’a pas réellement reçu de réponse limpide de la part de l’exécutif. Jeudi 21 mars en fin d’après-midi, à l’issue d’une conférence au Sénat, le haut-commissaire en charge du dossier, Jean-Paul Delevoye, a bien essayé de mettre fin à la cacophonie en déclarant que cette borne d’âge sera maintenue dans le futur « régime universel » en cours de construction, conformément à la promesse de campagne d’Emmanuel Macron. Une promesse qui avait été réaffirmé le 10 octobre 2018, lors de l’exposition des premiers arbitrages. Mais son message a été mêlé par d’autres prises de parole, quelques heures plus tôt.
Convoquée sur BFM-TV jeudi, la ministre des solidarités et de la santé, Agnès Buzyn, s’était particulièrement vu poser la question suivante : « A 62 ans, on pourra partir à la retraite, à l’âge légal, et ensuite on pourra travailler avec une surcote ? » Réponse de la ministre : « Je ne peux pas vous donner le résultat d’une concertation. Aujourd’hui, c’est ce qui est discuté, je laisse le haut-commissaire travailler. » Elle avait ajouté que « l’âge, évidemment, est en discussion », dans le cadre de la réforme, « spécialement lorsqu’on est en pleine capacité, qu’on est en bonne santé et que l’on sait qu’on va passer vingt, vingt-cinq, trente ans à la retraite ». Une réflexion étonnante, dans la mesure où deux jours plus tôt, la ministre avait assuré, à l’Assemblée nationale, que la règle des 62 ans resterait inviolée.
« Gros recul »
Le mystère s’était déjà augmenté avec les propos d’Edouard Philippe, mercredi. Tout en témoignant que la borne d’âge ne bougera pas dans le cadre de la réforme des retraites, le premier ministre s’était consulté pour savoir « s’il faut travailler plus longtemps » afin de financer la dépendance. Le fait de coupler les deux thématiques – les retraites et la prise en charge de la perte d’autonomie – forme en soi un motif d’étonnement, car, jusqu’à aujourd’hui, elles avaient, presque toujours, été abordées indépendamment dans la communication officielle. La dépendance indique « un tout autre sujet » que celui des retraites, a d’ailleurs appuyé, jeudi, M. Delevoye, après le colloque au Sénat.
Une douche froide, glacée même. Mercredi 20 mars au matin, les 300 salariés d’Arjowiggins qui faisaient le pied de grue devant le tribunal de commerce de Nanterre (Hauts-de-Seine) ont vu leurs représentants ressortir de l’audience la mine sombre. « Ce sera certainement une liquidation judiciaire pour le site de Bessé-sur-Braye », lâche Laurent Trudel, délégué CGT de l’usine concernée dans la Sarthe. « Le tribunal a laissé très peu de chance. Il estime que les prêts de l’acheteur ne sont pas assez garantis », déclare le délégué CGT.
Le 19 mars, les organisations syndicales (CGT, CFDT, CFE-CGC et FO) avaient malgré cela cosigné un avis portant un soutien unanime au spécialiste suédois du papier Lessebo Paper, adhérant « au projet industriel et commercial » qu’elles tranchaient « cohérent et pertinent ».
Le tribunal de commerce ne l’a pas expérimenté ainsi et a mis sa fin en délibéré jusqu’au mardi 26 mars. « L’audience ne s’est pas bien déroulé, réaffirme Thomas Hollande, avocat du cabinet LBBA, qui conseille les salariés. Lessebo Paper a reconnu que son offre ne pouvait pas être considérée par le tribunal car il n’était pas en aptitude d’affirmer la date à laquelle il pourrait disposer des fonds prêtés par les banques suédoises ».
Malgré cela, entre cette assistance et la précédente (6 mars), la somme jugée indispensable pour ce projet de reprise est passée de 65 millions d’euros à 50 millions, également partagée entre le repreneur et les pouvoirs publics (la Banque publique d’investissement et les Régions Pays de la Loire et Centre).
« Un coup de massue »
Lessebo Paper est le seul à avoir énoncé une offre pour les trois usines du papetier Arjowiggins, qui emploient 913 salariés en Sarthe et dans l’Aisne. Il prévoit de maintenir 413 salariés sur 568 à Bessé-sur-Braye (papier recyclé), 210 sur 270 chez les voisins de Saint-Mars-la-Brière (ouate de cellulose), et la totalité des 75 salariés de Greenfield (pâte à papier recyclée), à Château-Thierry (Aisne). Ces deux derniers sites font l’objet d’offres alternatives que le tribunal jugerait acceptables.
Si Lessebo Paper ne parvient pas à rapporter in extremis les garanties financières promises, seul le site de Bessé-sur-Braye serait évalué à une liquidation judiciaire. « On a demandé un ultime report de quinze jours, plaide encore Thomas Hollande, mais les mandataires et administrateurs judiciaires ont dit que c’était trop tard et ont demandé la liquidation d’Arjowiggins à Bessé-sur-Braye. C’est un coup de massue pour les représentants du personnel et leurs conseils. »
Christelle Morançais, présidente (LR) du conseil régional des Pays de la Loire et Sarthoise de naissance, veut encore croire que « rien n’est fait ». Elle a écourté la session du conseil régional pour se consacrer au dossier Arjowiggins, ce vendredi 22 mars. « Il faut à tout prix que le futur repreneur soutient des éléments nouveaux. C’est très urgent, c’est le seul moyen d’être pris en considération. Nous, Etat et Région, on a fait ce qu’il fallait pour l’accompagner. Bessé-sur-Braye, c’est là où il y a le plus de salariés et c’est le territoire le plus isolé. Le bassin d’emploi le plus proche est à 50 minutes en voiture. Vous imaginez le drame social ? », s’inquiète-t-elle.
« On a encore un très faible espoir »
« On a encore un très faible espoir, reprend Laurent Trudel. On est les seuls à faire du papier 100 % réorienté. En France, on consomme chacun 100 kg de papier par an et on ne recycle en moyenne qu’une feuille sur quatre. Il y a encore un potentiel énorme. Si l’usine ferme, il va devoir partir. Ce sera une vie qui change totalement et un village qui meurt. »
Une issue d’autant plus pénible que le précédent actionnaire (Sequana) est soupçonné par les salariés d’avoir ponctionné 12 à 15 millions d’euros dans les comptes de l’usine de Bessé-sur-Braye après la cessation de paiement, prononcée le 15 novembre 2018. Les représentants du personnel ont écrit au procureur de la République pour signaler cette pratique illégale. Leur avocat confirme : « On se réserve la possibilité d’escompter des actions judiciaires à ce sujet. »