Archive dans mars 2019

Les neurosciences s’enlèvent du management

« Il serait possible de modeler notre cerveau à volonté et d’optimiser ses performances, que ce soit sur le plan de l’intelligence, de la mémoire ou de la gestion de ses émotions. »
« Il serait possible de modeler notre cerveau à volonté et d’optimiser ses performances, que ce soit sur le plan de l’intelligence, de la mémoire ou de la gestion de ses émotions. » Ingram / Photononstop

Administration du stress, recherche de talents… Les dernières découvertes sur le fonctionnement du cerveau dégagent de nouvelles pistes aux managers.

Après avoir encaissé le terrain du développement personnel et de l’éducation, les neurosciences se prennent actuellement du management. À la foire Solution Ressources Humaines, qui s’est soutenu du 19 au 21 mars à Paris, pas moins de cinq conférences ont appelé cette discipline. Les progrès de la recherche ont mis les neurosciences sous les feux de la rampe. Le premier atelier autour de l’intelligence cognitive, « comment booster son intelligence adaptative », a aussi fait salle comble.

Il faut dire de même que l’orateur de ce discours, Pierre Moorkens, cofondateur de l’Institut de NeuroCognitivisme, sait se présenter déterminant : « Il y a vingt ou trente ans, on ne savait pas ce qui se passait dans le cerveau, fait-il valoir. Actuellement, les neurosciences admettent d’aller beaucoup plus loin dans la compréhension de son fonctionnement ».

La promesse est attirante : il serait éventuel de façonner notre cerveau à volonté et d’améliorer ses performances, que ce soit sur le plan de l’intelligence, de la mémoire ou de la gestion de ses émotions. Le tout en se fondant sur les découvertes scientifiques les plus récentes, qui admettent de cartographier plus exactement le fonctionnement du cerveau.

Les experts se sont abondamment concentrés sur les hémisphères gauche et droit. Mais les dernières avancées scientifiques ont dévoilé que le cerveau est en fait dirigé par quatre pilotes différents, dont le reptilien pour l’intelligence obtenue et le néocortex préfrontal pour l’intelligence adaptative. « Le premier permet de prendre des décisions précipitamment, tandis que le second sert à orner et à accepter les événements », déclare Pierre Moorkens.

Gérer la complexité                                                                                                                                                                

Des recherches naissantes sur la progression du cerveau ont exposé que le stress était soutenu par la rivalité entre ces deux zones. « Le reptilien ne sait pas administrer la complexité, alors que si je développe mon intelligence adaptative, si je suis curieux… j’apprends à relativiser, soutient le cofondateur de l’Institut de NeuroCognitivisme. Devant un collègue est continuellement en retard, on peut s’énerver, mais aussi s’adapter face à cette situation : si je décide de débuter la réunion à 9 heures, quoi qu’il arrive, cela l’incitera à venir plus tôt la prochaine fois ! » Selon Pierre Moorkens, des pilotes de chasse de l’armée de l’air qui ont été cultivés pour développer leur intelligence adaptative face aux situations de stress sont parvenus à améliorer leurs performances de 700 %.

Ascoval : quatre acheteurs en position

Des ouvriers de l’aciérie Saint-Saulve, le 19 décembre 2018.

Des ouvriers de l’aciérie Saint-Saulve, le 19 décembre 2018. FRANCOIS LO PRESTI / AFPBritish Steel, Calvi Networks, l’industriel Pascal Cochez et l’entrepreneur Frank Supplisson ont dressé lundi 25 mars un projet de récupération de l’aciérie de Saint-Saulve.

Ils seront quatre, voire cinq ! Après le retrait d’Altifort d’Ascoval, courant janvier, beaucoup de candidats s’entassent pour récupérer l’aciérie de Saint-Saulve et ses 281 salariés. Et cette fois, « il y en a des sérieux et très solides », promet un bon connaisseur du dossier. Selon nos informations, le métallurgiste britannique British Steel, le spécialiste italien des aciers spéciaux Calvi Networks, l’industriel Pascal Cochez et Frank Supplisson, l’ancien président d’Ascometal, sont en lice, tandis qu’une cinquième société a exprimé son intérêt pour le dossier.

Parmi ces solliciteurs, deux sortent vraiment du lot. Le premier, British Steel est un groupe d’aciéries racheté à Tata Steel en 2016 par Greybull Capital des frères français Nathaniel et Marc Meyohas. La société, qui a accompli en 2018 un chiffre d’affaires de 1,4 milliard de livres, soit 1,63 milliard d’euros, serait prête à soutenir dans un délai rapide de 200 000 à 300 000 tonnes de commandes d’aciers.

Pour un site engendré pour constituer jusqu’à 600 000 tonnes, cela admettrait de couvrir les coûts fixes de l’usine. Fin 2018, cependant, la société britannique a avisé la suppression de 400 postes pour assurer son avenir.

Le second acheteur potentiel est le groupe italien Calvi, qui affiche 230 millions d’euros de chiffre d’affaires dans les aciers spéciaux. Ce transformateur soutiendrait quelque 100 000 tonnes de débouchés à Ascoval. « Quels que soient les projets, l’essentiel, c’est de découvrir un débouché, assure un bon compétent du secteur sidérurgiste. Et British Steel semble actuellement en surcapacité avec ses propres usines, alors pourquoi en reprendre une ? »

Le détail de l’ensemble des offres n’est pas encore connu

D’autre part, deux autres candidats se sont fait connaître. Pascal Cochez, un entrepreneur des Hauts-de-France qui avait déjà établi une offre en octobre 2018 face à Altifort. Selon la Voix du Nord, il conduit le groupe Cochez qui avait repris le site de Sacsum en 2014 pour y défaire ses activités de services aux industries et emploie 150 salariés. En 2017, il a repris la conserverie de poisson de la région de Boulogne. Chez Ascoval, M. Cochez a déjà acquis le surnom de « Batman »…

Le tutoiement au travail, un délicat signe social

Eric Audras/PhotoAlto / Photononstop / Eric Audras/PhotoAlto / Photononstop

Pour Baptiste Coulmont Professeur de sociologie à l’Université Paris VIII, l’usage du « tu » reste un marqueur des différences de capacité et d’écart entre groupes.

Le tutoiement, affaire de feeling ou d’habitude ? Certains ont le tutoiement si libre qu’il semble être dans leur nature. Mais il s’étend, signe qu’il n’appartient pas que des individus. Il était déjà totalitaire durant l’enfance, puis dans le monde étudiant. Il est actuellement omniprésent au travail. C’est une des premières règles qu’on m’a présentées, à mon entrée à l’université Paris-VIII : « Ici on se tutoie. »

On se tutoie parce qu’on s’apprécie être égaux. Mais voilà de nos jours, en majorité, c’est aussi son chef qu’on tutoie, alors même qu’il nous commande. L’enquête COI sur les transmutations organisationnelles et l’informatisation a demandé à 16 000 salariés, parmi plusieurs autres questions, s’ils tutoyaient leur supérieur hiérarchique. Le plus souvent, la réponse est « oui ». Alex Alber (université de Tours) déplie les tenants et les conséquences de cette pratique sociale artificiellement anodine dans le dernier numéro de la revue Sociologie du travail.

C’est d’abord une commode d’hommes et de cadres du secteur privé. Seule une femme sur deux tutoie son chef. C’est malgré cela le cas de sept hommes sur dix.

Les cadres tutoient leur « n + 1 » (qui est aussi cadre, et souvent de sexe masculin). Les employées et employés le font moins : leur chef n’est pas employé, il est cadre ou profession intermédiaire, et souvent d’un autre sexe qu’eux. Les plus jeunes tutoient plus que les plus âgés… et on tutoie d’autant plus son chef qu’il est plus jeune que nous.

La plus ou moins grande fréquence du tutoiement reflète alors les frontières : entre groupes professionnels, entre groupes de sexe, entre générations. C’est un marqueur subtil des différences de pouvoir et de distance entre groupes. On voit bien qu’il ne s’agit pas là simplement de feeling : les grandes variables sociales sont associées à la répétition du tutoiement du chef.

Nouvelles formes de distribution du travail

Mais le plus captivant affleure quand le sociologue se demande alors s’il ne s’agit pas d’habitudes ou d’une « culture » du tutoiement, qu’on sait habituel dans les start-up, par exemple.

Plutôt que vers une « culture du tu », c’est vers les nouvelles formes d’organisation du travail qu’il faut regarder: on tutoie son « n + 1 » quand ce dernier n’a plus l’habit du « petit chef ». Le tutoiement du chef direct est plus habituel quand les salariés font l’objet d’évaluations particularisées ou reçoivent des primes : le « management par objectifs », associé à l’autonomie dans les méthodes de travail, s’accompagne d’un recours plus intensif au tutoiement. L’organisation en « groupes de projet », qui assemblent des salariés de niveaux hiérarchiques différents et venants de directions différentes, développe encore l’appel au tutoiement, lingua franca des interactions. Dans ces mondes professionnels, le contrôle de l’activité est délégué à des outils normalisés qui servent de cadre entre le chef et ses subordonnés. Ce n’est plus le chef qui sanctionne, c’est la machine.

Dans la tourmente des contrats courts

Des serveurs receptionnent les plats à servir à l'occasion d'une réception d'un grand restaurant

En 2017, 1,2 million de salariés occupaient, un contrat de moins de trois mois, en France d’après l’Insee. Le phénomène, avec ses effets sociaux et financiers, angoisse le gouvernement, qui  doit découvrir, prochainement, le contenu de sa réforme.

Il sait ce que le mot instabilité veut dire. Durant plusieurs années, jusqu’à la fin 2011, Bachir, qui affirme sous un prénom d’emprunt, fut employé comme maître d’hôtel par Lenôtre, l’un des traiteurs français les plus illustres. On faisait appel à lui pour des « extras » – de courtes périodes d’activité, parfois de quelques heures uniquement, sur une journée. Puis le rapport s’est éteint, dans un climat conflictuel. Actuellement âgé de 68 ans, Bachir a fait valoir ses droits à la retraite, tout en continuant à travailler, en tant que serveur dans un grand hôtel de l’hypercentre de Paris. Là encore, il exerce son métier dans le déséquilibre, en qualité d’intérimaire.

« Je fais six à sept jours dans le mois », déclare-t-il. Ça lui admet de terminer sa « petite pension » et de pourvoir aux besoins du foyer : ses deux filles sont encore à la maison, il a un emprunt sur le dos… Etre intérimaire implique de se mettre « à la disposition » de l’entreprise, rapporte Bachir : « “Ils” n’aiment pas qu’on refuse les missions. Si c’est le cas, ils vous oublient pendant une ou deux semaines et vous restez sur le carreau. » Pénible, dans ce contexte, « de prévoir quelque chose », de « mener une vie normale ». Des organisations sont certes distribués, « à l’avance », mais « parfois, ils rajoutent des jours où ils en retirent ».

Chaque année, ils sont des centaines de milliers à viser des contrats courts – c’est-à-dire d’un mois ou moins, selon la définition la plus courante. Cette forme d’emploi a été propagée par 2,5 entre 2000 et 2016. En 2017, 1,2 million de personnes – soit 5,1 % de la population salariée – occupaient un contrat court, d’après l’Insee, qui détient d’autres critères pour le caractériser (il dure moins de trois mois et prend en compte l’intérim).

Les enjeux sont de même d’ordre financier

L’ascension du phénomène préoccupe le gouvernement. Pour des raisons sociales, tout d’abord : « Les salariés concernés profitent moins que d’autres de formations qualifiantes, alors qu’ils sont moins qualifiés et plus éloignés du marché du travail, explique Gilbert Cette, professeur associé à l’université d’Aix-Marseille. De surcroît, ils ont plus de pénuries à avoir les prêts bancaires et aux logements locatifs. » Les enjeux sont de même d’ordre financier. Les personnes habituelles aux contrats courts passent régulièrement par la case assurance-chômage, ce qui a un coût : un peu moins de 2,9 milliards d’euros par an, en tenant compte des irréguliers du spectacle et des missions d’intérim de moins d’un mois, selon l’Unédic.

Les vagues des contrats courts

Il existe actuellement en France plusieurs types de CDD. Passage en revue des différents contrats de travail aléatoires.

En 2017, l’Insee a déterminé 1,2 million de personnes en contrat de moins de trois mois, c’est d’eux dont il s’agit, mais cela ne dit rien sur les conditions de recours. Dans le code du travail français, comme dans les directives européennes, la « forme normale et générale de la relation de travail » est le « contrat de travail à durée indéterminée ». Mais à partir des années 1980, le nombre de contrats à durée déterminée (CDD) avait déjà débuté à accroître. Le droit du travail a donner au fur et à mesure des besoins des entreprises un véridique catalogue de contrats pour s’accommoder, d’une part, à la requête de l’économie et, d’autre part, à la protection des salariés. Ce qui s’est expliqué par une différenciation des CDD.

Il en existe actuellement une vingtaine de types. Ils ont en commun de devoir être justifiés par un seul motif (remplacement d’un absent, variation d’activité, etc.). A chaque motif son contrat, ce qui incite des employeurs confrontés au cumul des absences de plusieurs employés à faire de multiples CDD courts. C’est fréquent dans le secteur médico-social. La durée maximale du CDD, renouvellement compris, est de neuf à vingt-quatre mois selon le motif inscrit dans le contrat. L’employeur doit respecter un délai de carence entre deux contrats. Le salarié perçoit une prime de précarité de 10 % et une indemnité de congés payés de 10 %. Revue des dispositifs les plus populaires.

Le contrat saisonnier est un CDD particulier, redéfini par les ordonnances du 22 septembre 2017 comme un « emploi dont les tâches sont appelées à se répéter chaque année ». Courant dans le tourisme et le secteur agricole (vendanges), il peut être renouvelé indéfiniment, à chaque saison, et n’est pas assorti d’indemnité de fin de contrat. En revanche, le salarié bénéficie dans certaines branches d’un droit à reconduction de son contrat.

Les extras, fréquents dans la restauration, sont des CDD ou des CDD d’usage, courts, voire très courts, d’une ou deux journées en moyenne. Pour la protection des salariés, la loi a fixé en 2013 une durée minimale de travail hebdomadaire à vingt-quatre heures. Lades contrats très courts « ne semble pas uniquement attribuable au développement des CDD d’usage », selon le ministère du travail.

Le CDD d’emploi, au cœur du débat sur le bonus-malus, n’est qualifié que dans certains secteurs d’activité indiqués par décret, comme l’hôtellerie et la restauration, ou bien l’audiovisuel. Il doit répliquer à un besoin ponctuel ou occasionnel. Plus souple pour l’entreprise, il n’impose ni terme, ni délai de carence, ni compensation de précarité. C’est pourquoi les employeurs de tous secteurs y minent de plus en plus.

Royaume-Uni les variétés du travail maniable

Presque un million de salariés outre-Manche ont un contrat de travail à « zéro heure », au total, plus de sept millions de Britanniques œuvrent sous un statut très maniable.

Leur utilisation a éclaté après la crise financière. En 2008, 190 000 personnes au Royaume-Uni œuvraient avec un contrat à « zéro heure ». En 2016, il y en avait 900 000. Leur nombre s’est depuis immobilisé. Ces travailleurs, qui représentent actuellement 2,8 % de la main-d’œuvre britannique, n’ont aucune heure de travail garantie et sont fréquemment appelés à la dernière minute pour répondre à la demande.

Sports Direct, une grande affiche de vêtements et d’équipement de sport, est devenue le symbole de cette pratique. A son pic, en 2017, elle utilisait 90 % de la main-d’œuvre de ses entrepôts de cette façon (elle a promis depuis de mettre fin à cette pratique). L’hôtellerie-restauration et les aides à domicile sont ceux qui y usent le plus.

Pour ces laborieux, le statut aléatoire rend la vie quotidienne très rude. Louer un logement, contracter un emprunt ou même réussir un forfait de téléphone portable est souvent très compliqué, faute de capacité réhabiliter d’une rétribution régulier. Face au tollé, plusieurs entreprises ont déterminé de diminuer l’utilisation de ces contrats.

Cette hyper souplesse n’est malgré cela que la partie affleurée de l’iceberg d’un marché du travail britannique spécialement souple. Aux 900 000 contrats à zéro heure, il faut augmenter près d’un million de travailleurs qui ont des statuts différents mais sans aucun horaire garanti. Les autoentrepreneurs sont encore plus nombreux, avec près de 5 millions de personnes. Les livreurs, la moitié des ouvriers sur les chantiers ou encore les laveurs de voiture sont fréquemment à leur compte. Quant aux salariés intérimaires, ils sont environ 800 000. Au total, plus de sept millions de Britanniques œuvrent sous un statut très flexible. Et pour ceux qui ont un CDI, les licenciements sont de toute façon relativement faciles et les rémunérations minimales assez faibles.

Le marché du travail britannique continue de surprendre

Cette disposition du marché du travail, si elle a créé une catégorie de laborieux pauvres, présente cependant des avantages. Elle a permis de fermement amortir l’impact social de la crise. En 2008, les économistes s’espéraient à voir le chômage redoubler et prévenir la barre des 10 %, comme dans les années 1990. Définitivement, il a culminé à 7 % environ. Pendant la même période, les salaires ont fortement reculé, en partie parce que les nouveaux contrats payaient mal. Concrètement, cela signifie que le choc de la crise, très violent, a été réparti amplement à travers toute la population, plutôt que de s’accumuler sur les chômeurs.

« Les “responsables du bonheur” dans les sociétés n’étudient pas la peine au travail à sa source »

Un espace réservé à la détente chez Just Eat, entreprise parisienne, le 14 février 2019.

Un espace réservé à la détente chez Just Eat, entreprise parisienne, le 14 février 2019.
La sociologue Danièle Linhart voit que la croissance du bonheur dans l’entreprise vise particulièrement à « compenser une détérioration du contenu du travail ».

Danièle Linhart est sociologue du travail, directrice d’étude émérite au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et membre du Centre de recherches sociologiques et politiques de Paris (Cresppa).

Que vous inspire cette aptitude assez nouvelle, dans les firmes en France, du bonheur au travail ?

Danièle Linhart : Cela indique une intrusion exceptionnellement forte dans la vie privée des salariés et la volonté de s’intervenir dans ce qui relève des affects, des émotions – on parle d’ailleurs de gestion des émotions, de la conduite des affects.

Principalement, il me semble que le développement du bonheur dans l’entreprise – certains articulent de « bienveillance » – vise à battre une atteinte du contenu du travail et à dissimuler des contradictions profondes qui sont au cœur du modèle managérial moderne. D’un côté, il y a la volonté de donner au salarié plus de liberté, d’autonomie, la possibilité de se réaliser dans le travail ; de l’autre, la multiplication de procédures et de protocoles, c’est-à-dire de contraintes et d’un contrôle professionnel exceptionnellement forts.

Les salariés peuvent percevoir du mal-être face à ces contradictions très importantes qui relèvent en cause leur placement dans le travail.

Quel rôle ont les « chief happiness officers » (CHO), les responsables du bonheur, dans cette stratégie du bien-être au travail ?

La parvenue des chief happiness officers, des « DRH de la bienveillance », c’est pour dire : « Tout n’est pas rose, mais on est là pour vous assister. » Les CHO sont chargés d’arranger des événements, des rencontres, de l’affabilité, d’assister la vie dans l’entreprise (service de conciergerie, massages, numéros verts de psy, méditation, conseils nutritionnels…), mais en périphérie du travail lui-même. Les CHO sont un exutoire. Ils sont là pour montrer que le bien-être des salariés est une participation pour la direction, mais surtout pour faire en sorte que les salariés détiennent face aux contradictions du modèle managérial moderne.

Les CHO ne comblent pas la peine au travail à sa source. Ils donnent l’impression aux salariés qu’on s’occupe d’eux, mais ils ne traitent pas des problèmes majeurs qui sont liés au contenu même du travail. Parfois même cela aggrave les choses, c’est une manière de reproduire la faute des sources du malheur sur le salarié : officiellement, la direction fait tout pour le rendre heureux et, pourtant, le salarié se sent malheureux, donc il se dit que le problème vient de lui.

 

« Responsable du bonheur » en société, entre chouchoutage recherche de rendement

Nathalie Forrestier est la « chief happiness officer » dans l’entreprise parisienne de livraison de repas à domicile Just Eat. Le 14 février, elle prépare des activités pour la Saint-Valentin.
Nathalie Forrestier est la « chief happiness officer » dans l’entreprise parisienne de livraison de repas à domicile Just Eat. Le 14 février

Etre responsable de protéger au bien-être des salariés est une profession de moins en moins négligeable en France.

« Où va le travail ? ». « On fait le point sur la Saint-Valentin ? Du croustillant à nous enseigner ? » Alentour de Nathalie Forrestier, dans une petite salle ouverte sur un ample open space, sept salariés de Just Eat interrogent leur ordinateur portable. Au menu du meeting: la « fête des amoureux », agencée dans l’entreprise jeudi 14 février. A moins d’une semaine du fait, quelques détails demeurent à régler.

« On a modéré une manucure et un barbier de 14 heures à 18 heures, réplique une salariée.

— Très bien. Et question déco ?, rejaillit Nathalie.

— On peut ordonner des ballons gonflables et des Post-It en forme de cœur », inspire une autre.

— Parfait. Du love, du love, du love », s’enthousiasme Nathalie.

Nathalie Forrestier est « chief happiness officer » (CHO) chez Just Eat (ex-Allo Resto). Salariée depuis une douzaine d’années de cette entreprise parisienne de livraison de repas à domicile, elle est occupée, comme l’indique la traduction française de son poste – « responsable du bonheur » –, d’examiner au bien-être des salariés.

Happy lunchs entre collègues, birthday parties, séminaires, ateliers de codéveloppement… Nathalie a carte blanche « pour maintenir la cohésion entre les équipes ». Cela passe par de l’événementiel interne, mais pas uniquement. L’actif quadragénaire, en jeans et sweat à capuche, assure que ses missions « sont très variées » :

« C’est moins perceptible, mais je fais aussi en sorte que les adoptes managériales soient comprises de tous. A l’écoute, prête à réfréner les conflits potentiels. »

Figure d’une CHO : Chief Happiness Officer, « c’est un poste qui s’élève autour d’un profil »

Un bien-être… stratégique

Née dans la Silicon Valley au début des années 2000, le métier de CHO en entreprise fait une timide percée en France depuis trois ou quatre ans. Si les laboratoires Boiron ont fait figure de pionniers du « management humaniste » dès les années 1980, c’est la propagation en 2015 sur Arte d’un documentaire de Martin Meissonnier appelé Le Bonheur au travail, qui a lancé la mode : le bien-être des salariés devenait stratégique.

Le nombre de CHO reste encore négligeable en France – quelques centaines tout au plus, particulièrement des femmes –, mais la fonction a suborné des grands groupes, comme Kiabi, Decathlon, Bouygues, Carrefour ou encore Publicis. « Contrairement aux idées reçues, on est plus CAC 40 que start-up », assure Olivier Toussaint, cofondateur du Club des CHO, qui joint des entreprises et des professionnels « sensibles à la question du management humaniste ».

« Quand des agriculteurs en pénurie entament une cagnotte en ligne »

Aurore et Guillaume Fumoleau, dans leur ferme, à Bourg-Archambault (Vienne), le 15 mars.
Aurore et Guillaume Fumoleau, dans leur ferme, à Bourg-Archambault (Vienne), le 15 mars. FP

C’est l’histoire d’Aurore et Guillaume Fumoleau, qui ont recourt au paiement participatif sur Internet pour tenter de protéger leur exploitation.

Aurore Fumoleau est femme d’agriculteur ; d’agriculteur au bord de la ruine. Fin janvier, un huissier est venu taper à la porte de leur ferme, à Bourg-Archambault (Vienne). Sélectionné par la banque auprès de laquelle le couple a souscrit un emprunt qu’il n’arrive pas à rétribuer, l’huissier est revenu lui rendre visite, mi-février, afin d’estimer les biens à saisir : la maison, les bâtiments agricoles, les terres. C’est quelques jours après, dans un moment de grande enfonce, qu’Aurore Fumoleau a approprié la requête suivante sur Google : « Solution pour sauver une exploitation agricole ». Le mot « cagnotte » est présenté. En quelques clics, la jeune femme (37 ans) défaisait un compte sur Leetchi.com, l’un des essentiels sites de collecte collaborative.

La production agricole à implication limitée (EARL) de son mari Guillaume – 95 vaches de race limousine, sur 160 hectares de prairie, dont 140 en location – enchaîne les nécessités depuis sa création, en 2013. Parti avec un passif de 20 000 euros au moment de représenter à ses parents, l’éleveur a d’abord subi de plein fouet la crise du lait alors qu’il élevait des chèvres. Les dettes n’ont cessé, ensuite, de s’accumuler, pour atteindre 230 000 euros. Placé en redressement judiciaire en 2016, il se voit alors proposer un plan d’échelonnement sur quatorze ans. Plan qu’il a du mal à assumer actuellement alors que son activité a trouvé son rythme de croisière grâce à la bonne tenue du cours de la viande bovine.

Quand sa femme a ouvert une cagnotte sur Internet, le gaillard a élevé des sourcils. « Tu parles, on va récolter 100 euros grand maximum », a-t-il grondé. Trois semaines plus tard, leur compte sur Leetchi atteint 45 000 euros. Un article dans le quotidien Centre Presse, un autre sur France 2, ont dopé leur appel au don. La rétribution de leur maison (55 000 euros) est presque acquise actuellement.

Familles en peine

Jamais Guillaume Fumoleau n’aurait résolu, de lui-même, représenter public de la sorte ses nécessités. « J’étais plutôt dans l’idée d’attendre la réponse de la banque, à qui j’ai fait de nouvelles propositions pour m’en sortir », confie-t-il. « Ce n’est pas un hasard si la décision d’ouvrir une cagnotte a été prise par moi, qui ne suis pas d’origine agricole, explique sa femme, assistante maternelle en réorientation. A la campagne, il est d’usage de ne pas parler de ses problèmes. »

Claire L. Evans : « Quand l’informatique a pris de la valeur, les femmes ont dû quitter le terrain »

Grace Hopper, Hedi Lamar, Margaret Hamilton…, ces quelques noms sont souvent cités pour rappeler la contribution des femmes à l’informatique dans un grand récit où les héros et les légendes sont les génies masculins.

Le profil des employés et des leaders des GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple) de la Silicon Valley semble donner raison à cette idée que l’informatique serait depuis toujours et avant tout une affaire d’hommes.

C’est faux. Les femmes ont été à l’avant-garde de l’informatique. Même le mot « ordinateur » (computer, en anglais) a été emprunté aux ordinatrices qui exécutaient des calculs mathématiques compliqués bien avant les machines, dès le XIXe siècle.

Dans son ouvrage inédit en France, Broad Band, The Untold story of the women who made the Internet (Penguin, 2018), Claire L. Evans démonte une image d’Epinal tenace dans la tech : celle de l’étudiant geek, seul au fond de son garage. Fan d’informatique et du Net depuis son plus jeune âge, grâce notamment à son père programmeur chez Intel, elle a enquêté pendant deux ans sur l’implication des femmes dans ce milieu, depuis Ada Lovelace, qui a publié le premier programme en 1843, à la cyberféministe Sadie Plant, figure des années 1990.

L’auteure, journaliste et musicienne de 34 ans, était de passage à la mi-mars à Paris pour inaugurer l’exposition « Computer Grrrls » qui se tient du 14 mars au 14 juillet à La Gaité lyrique (3e arrondissement).

Quel est le point de départ de votre enquête ? Qu’est ce qui vous a donné envie d’écrire ce livre ?

Quand j’écrivais, je disais aux gens qu’il s’agissait d’une histoire féministe d’Internet, parce que ça sonnait bien. Mais il s’agit bien plus d’une histoire de la technologie racontée du point de vue des femmes. Il y a bien sûr eu dans le passé des livres ou des publications sur le sujet, mais il s’agissait essentiellement de contributions académiques, je me suis dit qu’il manquait peut-être un livre plus grand public.

Pendant plusieurs années, j’ai été journaliste et j’ai donc enquêté pour des articles à propos des femmes et des nouvelles technologies. Plus j’écrivais, plus je réalisais que le matériau était infini et inexploité. Toutes ces histoires sont aussi intéressantes et représentatives que celles qu’on pouvait nous raconter sur Steve Jobs, Tim Berners-Lee ou Bill Gates, mais elles n’étaient que rarement évoquées.

Comment avez-vous sélectionné les histoires que vous alliez raconter ?

J’ai choisi de représenter chaque moment majeur de l’histoire d’Internet : la programmation, l’informatique en réseau, l’invention du Web. J’ai tenté de choisir pour chacun de ces moments charnières quelques histoires qui seraient attractives et les refléteraient bien. J’en ai gardé une douzaine. Mais il faut se souvenir que, derrière chaque femme de ce récit, il y en a une centaine de plus.

Quelque chose qui me tenait à cœur était de ne pas uniquement raconter les femmes techniciennes et les codeuses « hardcore », mais aussi celles qui ont contribué à la technologie d’autres façons, comme l’édition en ligne, ou qui ont travaillé sur les systèmes d’hypertexte.

Il y a, par exemple, Stacy Horn, qui a beaucoup œuvré sur le développement des communautés en ligne. Celle qu’elle a fondée en 1990 à New York, qui s’appelle Echo, reposait sur le système de bulletins électroniques (BBS) et préexistait au Web. Mais son approche et sa façon de travailler sont très pertinentes dans le débat qui existe aujourd’hui à propos des réseaux sociaux. Elles représentent des voies et des alternatives qui auraient pu être envisagées.

Comment explique-t-on que les femmes aient été si nombreuses aux prémices de l’informatique ?

Au tout début de l’informatique, née aux alentours de la seconde guerre mondiale, pour faire des calculs militaires et balistiques, les gens qui étaient embauchés pour opérer sur ces machines étaient des femmes, parce qu’autrefois elles faisaient ce même travail d’ordinatrices : elles calculaient à la place des machines.

C’était un travail qu’on leur laissait faire si elles avaient des notions de mathématiques. A cette époque, ce n’était pas du tout considéré comme un travail important, il était assimilé au travail des téléopératrices.

De l’informatique et des calculs en temps de guerre, le nom que l’on retient est celui d’un homme : Alan Turing.

Turing est une personne fascinante, il n’est pas un ennemi de la cause féminine, et il était queer. Mais sa biographie est symptomatique de cette histoire de l’informatique où nous avons seulement quelques récits d’hommes solitaires et visionnaires.

Contrairement à la façon dont on les présente, ces gens n’étaient jamais seuls. On ne peut pas réaliser de si grandes choses sans l’aide d’un grand nombre de personnes. Nous adorons ces histoires de héros solitaires, de génie dans un garage, parce que c’est pratique, on s’en souvient facilement. Cela entre dans nos modèles de pensée et d’adulation. Mais chaque fait est toujours bien plus compliqué. Nombre de femmes qui figurent dans mon livre ont travaillé avec des hommes célèbres et ont pu contribuer à leur œuvre.

Lire aussi Alan Turing, l’interminable réhabilitation d’un génie

La richesse semble aussi faire partie des « success stories » de la tech !

En effet, dans l’histoire de la tech, on met l’accent sur ces parcours de gens qui sont devenus riches, ont construit des entreprises qui ont changé le monde, embauché des millions de salariés et ont acquis le statut de magnat.

Aux Etats-Unis, notamment, la réussite et la richesse sont synonymes. Mon livre est plein d’échecs, en ce sens qu’une grande partie des femmes ne sont pas devenues riches et célèbres. En même temps, je ne crois pas que ce soit sain pour nous, en tant que société, de seulement admirer ce type de parcours. Il me paraît tout aussi intéressant de commencer à aussi idolâtrer des gens qui ont pris des décisions différentes, ont décidé de prendre soin des autres, ont décidé de s’investir à long terme dans leur communauté, de s’en sentir responsables.

Quelles contributions des femmes à l’informatique peut-on citer ?

Aux prémices de cette technologie, elles ont dû apprendre par elles-mêmes comment intégrer les maths dans ces nouvelles machines, car celles-ci étaient livrées sans manuel. Pour fluidifier la liste des tâches, se rendre le travail plus facile, elles ont donc aussi développé l’art de la programmation informatique.

Pendant les vingt premières années de l’informatique, les femmes étaient pratiquement les seules à savoir programmer. Elles dirigeaient les équipes logicielles, ont fait émerger les standards et les protocoles, ont inventé les premiers compilateurs [programmes qui transforment un code source en un code objet] et les premiers langages informatiques.

Comment expliquez-vous que ces femmes aient été massivement invisibilisées ?

Quand ces tâches sont devenues importantes, qu’elles ont eu de la valeur, qu’il y avait de l’argent à faire, c’est là qu’on a vu les femmes quitter progressivement le terrain. Non par choix, mais parce que les hommes voulaient ces boulots, réalisant qu’ils pouvaient y revendiquer un statut.

Ces champs autodidactes ont été plus formalisés, institutionnalisés. Des diplômes et des qualifications sont apparus, ainsi que le terme « d’ingénieur informatique », dans les années 1970, revendiqué par les hommes à la place du terme « programmeur ».

Est-ce qu’on distingue des périodes différentes quant à la condition des femmes dans l’informatique ? Est-ce que c’était mieux avant ?

Dans un certain sens, les choses étaient mieux en 1960 que maintenant : un grand nombre de femmes faisaient de la programmation, une grande partie des diplômés dans les universités étaient des femmes jusqu’au début des années 1980. Il y a donc eu des époques où les femmes étaient beaucoup visibles et admises en informatique, jusqu’aux années 1970, avec l’arrivée progressive des hommes.

La Silicon Valley reste-t-elle aujourd’hui un territoire masculin ?

Nous sommes en train de ressentir les conséquences des défauts de conception des logiciels, pour la plupart imaginés par des groupes monolithiques d’hommes qui ne font pas attention aux besoins de la communauté au sens large.

En interne, cela reste un milieu largement dominé par les hommes, un « boys club », dont émanent de nombreux et horribles récits sur des espaces de travail toxiques et un grand manque de représentation.

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Mais c’est le début du changement, cela s’améliore, je pense. Les solutions ne sont pas encore mises en place, c’est certain, mais il y a beaucoup de gens qui parlent de la situation. Les entreprises ont au moins l’air de prétendre qu’elles sont attentives à ces problèmes, même si elles bataillent encore avec les solutions, solutions qui sont probablement assez simples : embaucher des femmes, les payer correctement et les traiter avec respect, veiller à ce qu’elles travaillent dans un environnement qu’elles ne considèrent pas comme dangereux.

Etes-vous optimiste quant au futur du Web ou d’Internet ?

Pour être honnête, pas vraiment. Tant que l’on n’a pas trouvé une façon de mettre de côté les questions d’argent, nous ne serons jamais capables de créer des systèmes sûrs et équitables.

Tant que les architectes de l’Internet d’aujourd’hui seront aussi ceux qui cherchent des façons de monétiser les utilisateurs, nous ne prendrons pas soin de ces technologies. Il y a probablement des systèmes alternatifs à trouver, mais nous devons profondément réexaminer la question et la signification de la vie en ligne.

Et si on n’évacue pas totalement la question de l’argent, il faudrait être au moins plus transparent sur la façon dont ces entreprises fonctionnent et ce qu’on leur abandonne quand on utilise leurs services.

« Computer Grrrls », exposition, performances et conférences sur le thème des femmes et de l’informatique, à La Gaité lyrique, à Paris, du 14 mars au 14 juillet. Le programme complet est à consulter en ligne.
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