Voilà une décision qui rime avec fiasco pour la justice financière – et avec soulagement pour Etienne Guéna. Cet ancien haut cadre du Medef, poursuivi pour corruption passive, a été relaxé, mercredi 17 octobre, par la 11e chambre correctionnelle du tribunal de Paris, tout comme les cinq autres personnes mises en cause dans une affaire liée à la déconfiture d’une entreprise de conseil. Le jugement suggère clairement que l’enquête a été conduite de façon peu rigoureuse, sans toujours se soucier des droits de la défense.
Pour comprendre comment Etienne Guéna s’est retrouvé dans cette procédure, il faut remonter plusieurs décennies en arrière. En 1987, il rejoint le CNPF (l’ancien nom du Medef), en qualité de délégué au logement social. Très rapidement, il se voit confier des responsabilités importantes au sein du « 1 % logement », un dispositif paritaire cogéré par les partenaires sociaux (et rebaptisé, depuis, Action logement). Dans ce milieu, il est souvent dépeint comme un personnage central, celui qui tire toutes les ficelles. Au début des années 2000, il intègre l’Association foncière logement (AFL), une structure contrôlée par le « 1 % », qu’il quitte en 2008, après avoir été licencié du Medef. Quelques mois plus tard, il se fait embaucher par Maât, un cabinet de conseil spécialisé dans les questions d’habitat. Il y travaillera un peu plus de six mois, moyennant une rémunération très confortable : environ 16 000 euros mensuels.
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Une thèse taillée en pièces
De gros nuages surviennent avec la mise en liquidation, en 2011, de Maât. Un expert judiciaire, Lionel Guibert, est désigné. Il rend un rapport au canon en dénonçant, pêle-mêle, diverses turpitudes qui auraient été commises au sein de la société : détournement de fonds, emplois fictifs de personnalités politiques, retraits d’espèces abusifs, etc. Ce document, qui fuite dans la presse, est transmis début 2012 au parquet, alors qu’une enquête préliminaire a déjà été ouverte, plusieurs mois auparavant, au sujet des déboires de Maât.
Après six ans de procédure, le ministère public décide finalement de citer en correctionnelle six personnes, parmi lesquelles Etienne Guéna et Jean Naem, le dirigeant de Maât. Le second est accusé d’avoir – entre autres – corrompu le premier. Pourquoi ? Parce que le cabinet de conseil a obtenu, à partir de 2005, beaucoup de marchés attribués par l’AFL – au sein de laquelle Etienne Guéna exerçait un pouvoir très important. Dès lors, le recrutement, en septembre 2008, de l’ex-cadre du Medef par Jean Naem constituerait un renvoi d’ascenseur pour le remercier d’un avantage irrégulièrement accordé à Maât.
Cette thèse est taillée en pièces par la 11e chambre correctionnelle. Dans son jugement (livré sous la forme d’une « copie de travail » que Le Monde a pu consulter), elle fait remarquer que Etienne Guéna n’est nullement à l’origine de la prise de contact initiale entre l’AFL et Maât. De surcroît, les prestations du cabinet de conseil ont été négociées par une entité distincte de la Foncière logement. Personne « n’a fait état d’un abus d’autorité de la part d’Etienne Guéna », souligne le tribunal, en observant que l’AFL a un fonctionnement paritaire, collégial, qui associe des représentants des centrales syndicales. Enfin, la Foncière logement n’a pas contrevenu au code des marchés publics, n’y étant pas assujettie à l’époque, et Etienne Guéna n’était pas tenu de se conformer aux textes qui interdisent aux agents publics d’être enrôlés dans une entreprise avec laquelle ils ont été en relation.
Quant à Jean Naem, l’accusation de corruption active portée à son encontre ne tient pas non plus, aux yeux de la 11e chambre. La décision d’embaucher Etienne Guéna a eu lieu « dans des circonstances particulières qui n’ont pu être anticipées ni par l’un ni par l’autre ». En outre, l’ancien cadre du Medef a accompli un travail « effectif » au sein du cabinet de conseil. Dès lors, il n’y a aucun « lien de conséquence » entre le fait que Maât ait bénéficié de marchés octroyés par l’AFL et l’emploi que Etienne Guéna « s’est vu proposer ».
Une expertise écartée des débats
Au passage, les juges formulent des appréciations très dures sur le rapport de l’expert judiciaire : celui-ci, écrivent-ils, ne respecte pas les « règles applicables à la procédure pénale » car il a méconnu « le principe du contradictoire » en s’abstenant fréquemment de recueillir la parole des mis en cause. Et quand il s’adresse à eux, Lionel Guibert leur inflige « des réponses lapidaires et péremptoires ». Du coup, cette expertise judiciaire « ne peut servir de support de preuve dans un procès pénal » : elle a donc été écartée des débats.
Au cours du procès, début octobre, le représentant du parquet, François Camard, avait requis six mois de prison avec sursis à l’encontre d’Etienne Guéna. Dans le même temps, le magistrat avait reconnu que la procédure présentait de multiples points faibles. « Dire que la citation [des prévenus devant la 11e chambre correctionnelle] était baroque est en dessous de la réalité, avait-il lancé. C’est un dossier qui ne tient pas la route. » Ce qui l’avait d’ailleurs amené à considérer que plusieurs des griefs à l’encontre de Jean Naem n’étaient pas caractérisés (notamment l’abus de confiance et l’abus de biens sociaux), tandis que d’autres l’étaient. Au final, le tribunal a conclu que rien ne pouvait être reproché aux prévenus.
Un jugement dont se réjouit Me Bernard Vatier, le conseil d’Etienne Guéna. Cette affaire, dit-il, est « le fruit de rumeurs malveillantes ». Pour l’avocat, tout s’est passé comme si le parquet avait demandé à la brigade financière « de démontrer que l’expert judiciaire avait raison », alors même que son rapport est totalement « fantaisiste ».
La décision rendue mercredi a de fortes chances d’être définitive : selon nos informations, le parquet n’a pas l’intention d’interjeter appel.
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