{"id":13348,"date":"2024-10-29T06:30:10","date_gmt":"2024-10-29T05:30:10","guid":{"rendered":"https:\/\/www.lemonde.fr\/emploi\/article\/2024\/10\/29\/les-degats-de-la-lethargie-cognitive-en-management_6364313_1698637.html"},"modified":"2024-10-29T06:30:10","modified_gmt":"2024-10-29T05:30:10","slug":"les-degats-de-la-lethargie-cognitive-en-management","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/jeunediplome.net\/les-degats-de-la-lethargie-cognitive-en-management\/","title":{"rendered":"Les d\u00e9g\u00e2ts de la l\u00e9thargie cognitive en management"},"content":{"rendered":"
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Gouvernance.<\/strong> La possibilit\u00e9 d\u2019un mal syst\u00e9mique est devenue \u00e9vidente apr\u00e8s la seconde guerre mondiale, les trag\u00e9dies de la Shoah et de la bombe atomique. Comment des soci\u00e9t\u00e9s de haute civilisation acceptent-elles la barbarie radicale dont elles se croient pr\u00e9munies ? Beaucoup d\u2019auteurs, comme r\u00e9cemment encore Johann Chapoutot (Libres d\u2019ob\u00e9ir. Le management du nazisme \u00e0 aujourd\u2019hui<\/em><\/a>, Gallimard, 2020), ont li\u00e9 cet aveuglement \u00e0 la production industrielle de masse et \u00e0 la manag\u00e9rialisation qui se sont g\u00e9n\u00e9ralis\u00e9es dans les ann\u00e9es 1920, jusqu\u2019\u00e0 permettre l\u2019an\u00e9antissement m\u00e9thodique de millions d\u2019\u00eatres humains.<\/p>\n

L\u2019organisation dite scientifique du travail repose sur un syst\u00e8me technique complexe que personne ne ma\u00eetrise plus et qui produit m\u00e9caniquement et avec une performance in\u00e9gal\u00e9e ce pour quoi il est con\u00e7u : des automobiles, des denr\u00e9es alimentaires \u2013 et parfois des cadavres. D\u2019o\u00f9 un mal autonome r\u00e9sultant du syst\u00e8me.<\/p>\n

D\u2019o\u00f9 aussi une interrogation sur la libert\u00e9 individuelle, celle du collaborateur comme celle du dirigeant, humains pris dans l\u2019engrenage de l\u2019appareil productif quand ils ne peuvent interroger ni la rationalit\u00e9 ni les objectifs, ce qui les condamne \u00e0 abdiquer leur \u00e9paisseur \u00e9thique.<\/p>\n

Nul mieux que le philosophe allemand G\u00fcnther Anders<\/a> (1902-1992) n\u2019a affirm\u00e9 la n\u00e9cessit\u00e9 d\u2019opposer un refus moral au fonctionnement froid de la machine industrielle en soulignant la tension irr\u00e9ductible entre la libert\u00e9 de la personne au travail et l\u2019ob\u00e9issance servile aux r\u00e8gles du syst\u00e8me technico-\u00e9conomique. Il le fit dans son ma\u00eetre ouvrage, L\u2019Obsolescence de l\u2019homme<\/em><\/a> (1954), mais aussi dans des publications en forme de lettres ouvertes, dont l\u2019admirable Nous, fils d\u2019Eichmann<\/em> (1988) ou son \u00e9change avec Claude Eatherly<\/a>, le pilote qui rendit possible Hiroshima (Hiroshima est partout<\/em>, 1995).<\/p>\n

Implacable efficacit\u00e9<\/h2>\n

A partir de ces trag\u00e9dies, G\u00fcnther Anders d\u00e9crit la l\u00e9thargie cognitive qui incite \u00e0 s\u2019exempter de toute responsabilit\u00e9 morale par de commodes \u00ab je ne pouvais pas faire autrement \u00bb<\/em> ou \u00ab je n\u2019ai fait qu\u2019ob\u00e9ir aux ordres \u00bb<\/em>. Quand le syst\u00e8me productif est si gigantesque et complexe qu\u2019il devient difficile d\u2019en conna\u00eetre tous les effets, la raison ne se laisse plus fasciner que par son implacable efficacit\u00e9.<\/p>\n

Le travailleur se soumet alors moralement \u00e0 l\u2019ordre m\u00e9canique dans lequel il s\u2019ins\u00e8re comme une pi\u00e8ce indispensable \u2013 bien que rempla\u00e7able. C\u2019est m\u00eame la fragilit\u00e9 de sa position qui le conduit \u00e0 rel\u00e2cher son esprit critique pour conformer ses efforts \u00e0 la logique du r\u00e9sultat et aux satisfactions de la performance. En retour, l\u2019absence de jugement moral individuel au profit des s\u00e8ches exigences de la machine \u00e9conomique est une condition du bon fonctionnement de celle-ci \u2013 jusqu\u2019\u00e0 ce qu\u2019un drame r\u00e9veille chacun \u00e0 la responsabilit\u00e9 qui fut la sienne dans sa survenue.<\/p>\n

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Gouvernance. La possibilit\u00e9 d\u2019un mal syst\u00e9mique est devenue \u00e9vidente apr\u00e8s la seconde guerre mondiale, les trag\u00e9dies de la Shoah et de la bombe atomique. Comment des soci\u00e9t\u00e9s de haute civilisation acceptent-elles la barbarie radicale dont elles se croient pr\u00e9munies ? Beaucoup d\u2019auteurs, comme r\u00e9cemment encore Johann Chapoutot (Libres d\u2019ob\u00e9ir. Le management du nazisme \u00e0 aujourd\u2019hui, Gallimard,<\/p><\/div>\n