La mobilisation sociale anesthésiée par la violence de la crise
Ils ont suspendu leurs tee-shirts orange siglés « LMT Belin » à la barrière qui fait le tour de l’entreprise à Lavancia-Epercy dans le Jura. Sur chacun, à l’encre noire, un dessin ou slogan résumant le désarroi des salariés : le groupe allemand détenant cette PME met fin à l’activité malgré ses bons résultats. Beaucoup ont choisi des métaphores morbides, des croix ou, comme sur une pierre tombale, leur prénom accompagné de deux dates : celle de leur embauche et celle de leur licenciement. A l’autre bout du département, chez Jacob-Delafon qui ferme son usine de Damparis, les maillots étaient blancs. Avant l’été, ceux des salariés de La Halle, dans l’Indre, étaient bleu marine. Autant de symboles qui surgissent, ici et là, ces derniers mois dans l’Hexagone.
Si le chômage partiel et autres dispositifs de soutien aux entreprises mis en place par l’Etat depuis mars permettent, actuellement, de limiter la casse sociale, les chiffres parlent d’eux-mêmes. Depuis le 1er mars, plus de 67 000 ruptures de contrats de travail ont été annoncées en France, contre 27 000 sur la même période en 2019 selon la Dares, service statistique du ministère du travail. Et tous les observateurs s’accordent pour dire que le pire est à venir.
Les difficultés à retrouver du travail rencontrées par les salariés de luttes emblématiques, comme celle des Continental ou des Goodyear sont dans toutes les têtes
Pour l’heure, tout, ou presque, se passe à bas bruit. Pas de mobilisation spectaculaire ou de longue occupation d’usine avec tentes et brasero comme on a pu en voir à l’hiver 2008-2009. Chez LMT Belin, qui fabrique des outils de découpe pour l’industrie, les bûches n’ont brûlé que quelques heures dans un baril éventré, vendredi 27 novembre, le temps des discours d’un élu CFTC et de la députée LR de la circonscription. Leur première mobilisation « visible de l’extérieure », alors qu’ils savent le site menacé depuis le 31 janvier, et que le plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) a été lancé le 2 octobre. « On a été trop gentils », regrette un ouvrier. « On espérait qu’en restant professionnels, en travaillant même pendant le confinement, le groupe changerait d’avis ou qu’un repreneur verrait qu’on était des gens biens… Mais non », se désole Isabelle Courtet, élue CFDT.
Le même espoir que l’entreprise soit rachetée a retenu les salariés de l’usine de sanitaires Jacob Delafon. « Si aucun repreneur ne se présente, il va nous falloir retrouver du boulot derrière, que les gens aient envie de nous embaucher », anticipe Jean-Claude, 41 ans, matriceur. « Je veux que mon CV reste clean », insiste son collègue Frédéric. Les difficultés à retrouver du travail rencontrées par les salariés de certaines luttes emblématiques, comme celle des Continental à Clairoix (2009) ou des Goodyear à Amiens (qui a fermé en 2014) sont dans toutes les têtes.
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