« Je veux mener des projets avec et pour les usagers » : ces jeunes qui imaginent nos villes
Outre d’avoir moins de 30 ans, le point commun de nos quatre témoins est d’explorer les nouvelles pistes du développement urbain. Que ce soit à Bordeaux, Rennes, Lyon ou Paris, ils s’attèlent à des enjeux majeurs de l’avenir de nos métropoles : participation citoyenne, ville intelligente, mixité, mobilité.
« Je veux mener des projets avec et pour les usagers »
Tiphaine Berthomé, 29 ans, conçoit des lieux et des espaces dans une perspective écologique, avec la participation des usagers.
Cancan, c’est le nom du collectif qu’on a fondé à la sortie de l’Ecole nationale supérieure d’architecture et du paysage de Bordeaux, en 2016, avec une vingtaine de copains, issus pour la plupart de ma promo. On avait tous, à un moment, questionné l’école et on souhaitait défendre nos valeurs, en particulier le respect de l’environnement, sans passer par la case agence.
Chez moi, ce sentiment était particulièrement fort. A la fin de ma licence 3, j’ai eu envie de tout arrêter. J’avais l’impression de m’être éloignée de l’architecture telle que je l’avais fantasmée plus jeune, que j’imaginais comme quelque chose de très humain. C’est un stage au sein d’une petite agence, puis un chantier associatif au Burkina Faso qui m’ont aidée à comprendre la manière dont je voulais pratiquer ce métier. A mon retour à l’école en master 1, je me suis impliquée dans des recherches sur les matériaux de construction et la participation des habitants dans les projets.
A la fin de mes études, je suis partie six mois en échange avec une amie dans une école d’architecture camerounaise. Sur place, on a conçu une halle polyvalente pour un village qu’on est revenues construire un an plus tard de manière participative. Je me suis alors rendu compte que je pouvais aussi mener ce type de projet, où on met la main à la pâte, plus près de chez moi.
C’est ce que je fais aujourd’hui à travers Cancan. L’association, qui rassemble des architectes mais aussi des designers, des artistes et des géographes, fonctionne de manière totalement horizontale puisque chaque membre dispose d’une voix. Le fait de se regrouper nous a donné de la visibilité et, rapidement, sans qu’on ait besoin de prospecter, les commandes sont arrivées. Un projet est mené par au moins deux membres du collectif avec et pour les usagers. Depuis le lancement, on en compte un peu plus de 100 à notre actif, de la réhabilitation de l’intérieur de bâtiments à la conception/fabrication de mobilier ou d’œuvres d’art, en passant par l’occupation de friches foncières et de zones délaissées.
On vient ainsi de terminer la réhabilitation intérieure d’un appartement, réalisée uniquement à base de matériaux biosourcés et issus pour partie du réemploi. On essaie d’en intégrer de plus en plus.
« J’utilise le big data pour proposer de nouveaux services »
Alan Franquet, 28 ans, est « smart city manageur ». Un métier qui allie analyse de données, cartographie et gestion de projet.
Quand je dis que je suis chef de projet smart city [ville intelligente], on me regarde souvent avec des yeux ronds. Ma fonction, au carrefour du big data et de la gestion de projet Web, est encore assez nouvelle. Je travaille depuis juin 2019 chez Siradel, une entreprise rennaise du groupe Engie.
Ces dernières années, les masters liés au management de la smart city ont commencé à se développer, mais les voies d’accès restent très variées. Moi, j’ai fait une prépa littéraire, suivie d’une licence d’histoire-géo et d’un master en géographie et cartographie à l’université Rennes-II, en partenariat avec Agrocampus. C’est une formation très complète, centrée essentiellement sur la carto, l’informatique et l’analyse de données.
Chez Siradel, on est spécialisés dans la technologie du jumeau numérique : une représentation virtuelle de l’écosystème urbain dans toutes ses dimensions – bâtiment, transport, sécurité, etc. En ce moment, je participe au développement de smartidf.services. Cette plate-forme de la région Ile-de-France comprend une batterie d’outils qui permettent de trouver son coworking, son itinéraire vélo, sa recyclerie ou encore de calculer sa production d’énergie si on installe des panneaux solaires sur son toit.
Mon boulot est passionnant. En tant que chef de produit, j’accompagne la conception de nouveaux services, je suis à l’interface entre les développeurs, les graphistes et le client. Je m’occupe aussi de la gestion des données qui vont alimenter le site. Il s’agit de trouver les bons jeux de données, de vérifier qu’elles sont pertinentes, qu’on a les autorisations nécessaires pour les utiliser, et à la fin de proposer de nouveaux services… Ce n’est pas toujours facile. Je dois m’assurer que le travail est fait en temps et en heure, dans le respect du budget alloué. C’est la partie qui peut être la plus stressante.
« Construire la ville inclusive demeure un sujet sensible »
Alicia Lugan, 27 ans, aide en tant qu’urbaniste les aménageurs à mieux prendre en compte la place des femmes dans la conception des espaces publics.
Je travaille sur la question du genre dans l’espace urbain, qui a connu un vrai développement récemment. J’ai été sensibilisée à ce thème par mes lectures et mes stages. Dans le cadre d’un projet mené par l’association Les Urbain.e.s à Gennevilliers (Hauts-de-Seine), on m’a demandé de produire une coupe de la ville pour mettre en relation le paysage et les usages qu’en ont les femmes. A partir des données récoltées sur site par l’association et de notre analyse, nous avons pu formuler des préconisations. Par exemple, pour allonger le temps qu’elles passent dehors, installer des bancs devant l’école et fermer la rue aux voitures pour leur permettre de discuter pendant que leurs enfants jouent en sécurité.
Après mon master « alternatives urbaines, démarches expérimentales et espaces publics » à l’Ecole d’urbanisme de Paris (EUP), j’ai été embauchée à City Linked, une agence de conseil en stratégie urbaine. Chez City Linked, on aimerait porter la question du genre auprès des aménageurs. Comme ils interviennent très en amont sur les projets, ils pourraient l’intégrer dès l’élaboration du cahier des charges pour la conception d’un futur quartier.
Mais cela reste un sujet sensible et, pour toucher un maximum d’acteurs, il faut trouver le bon positionnement. L’agence élargit son approche à l’ensemble des publics souvent oubliés : les femmes, mais aussi les seniors, les personnes en situation de handicap, les enfants, les précaires. Nous travaillons actuellement dans cet esprit avec des étudiants de l’EUP sur le thème de la ville inclusive.
On va conduire une enquête dans une commune et émettre des propositions. C’est complètement expérimental, mais très stimulant. C’est un bon moyen de renouer avec la participation des habitants, qui me passionne.
Par la suite, j’ai envie de passer au stade opérationnel et de transcrire tout ce qu’on aura appris dans la conception de projets urbains. Pour cela, il faut convaincre : collectivités, aménageurs, promoteurs. Croyez-moi, ce n’est pas gagné, mais c’est un beau challenge. Pour construire la ville inclusive, on aura besoin de tout le monde.
« Bientôt, le véhicule autonome fera partie de nos vies »
Pierre Médard-Colliard, 25 ans, ingénieur, travaille sur le déploiement de navettes électriques autonomes.
Je suis chef de projet véhicule autonome depuis deux ans chez Berthelet, un opérateur de transport rhônalpin. Quand j’ai intégré l’Ecole nationale des travaux publics de l’Etat (ENTPE, à Vaulx-en-Velin), j’étais focalisé sur le bâtiment et les grandes infrastructures. Puis je me suis vite passionné pour la question des réseaux de transport. J’aime l’idée de faire gagner du temps aux gens.
On avait un peu abordé la question du véhicule autonome à l’école. Mais c’est un stage chez Supraways, une start-up lyonnaise, qui m’a initié aux modes de transport intelligents. En tant que chargé d’études, je devais évaluer des possibilités d’implantations pour son système de cabines solaires autonomes, reliées à un rail suspendu.
Cette expérience m’a ouvert les portes de Berthelet. Depuis quelques années, l’entreprise expérimente le véhicule autonome. On fait circuler de petites navettes électriques conçues et fabriquées par le français Navya sur des trajets prédéfinis. Un opérateur de sécurité reste à bord pour accueillir les passagers et s’assurer du bon fonctionnement du véhicule. Demain, on pourrait imaginer que la navette soit totalement supervisée à distance.
Mon rôle, au sein du service développement et innovation, est de vérifier que tout se passe bien avec le constructeur et le client, public ou privé. J’accompagne aussi la mise en place de nouvelles lignes. On teste actuellement une navette sur un site de Total à Dunkerque. On a une autre expérimentation sur une zone d’activité à Meyzieu-Jonage. C’est la première navette autonome sur route ouverte en région lyonnaise, et la première que je mettais en œuvre. Ça m’a beaucoup stressé ! Pour faire circuler une telle navette, il faut une dérogation de l’Etat, le code de la route l’interdisant. Puis le constructeur réalise la carte du site, l’intègre dans la mémoire de la navette et on passe aux tests. Il y a plein de défis techniques à surmonter, c’est très stimulant.
Je contribue aussi, dans le cadre d’un consortium d’acteurs publics et privés, à l’élaboration du projet national « expérimentation de véhicules routiers autonomes ». Cette technologie doit progresser pour gagner en fiabilité, en autonomie et, à terme, en vitesse. Dans quelques années, elle fera partie intégrante de nos villes et de nos vies. Pas en mode « Big Brother », mais comme un moyen de faciliter nos déplacements dans une démarche écologique.